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ANECDOTES SUR LOUIS XIV.

avait fait à la monarchie espagnole une plaie inguérissable. Il voulait retenir les huguenots, et les convertir. J’ai demandé à M. le cardinal de Fleury ce qui avait principalement engagé le roi à ce coup d’autorité. Il me répondit que tout venait de M. de Baville, intendant de Languedoc, qui s’était flatté d’avoir aboli le calvinisme dans cette province, où cependant il restait plus de quatre-vingt mille huguenots. Louis XIV crut aisément que, puis-

    Il y mena sa fille, âgée de trois ans ; elle fut sur le point, en abordant sur le rivage, d’y être dévorée par un serpent.

    De retour en France, à l’âge de douze ans, elle logea chez la duchesse de Navailles, sa parente, qui ne lui donna que de l’éducation. Elle y changea de religion, car elle était née calviniste. Ce fut une fortune pour elle d’épouser Scarron, qui ne vivait presque que de pensions et de ses ouvrages, qu’il appelait sa terre de Quinet, parce que Quinet était son libraire.

    Après la mort de son mari, elle fit demander au roi, par tous ses amis, une partie de la pension dont Scarron jouissait, et le roi la fit attendre deux ans.

    Enfin il lui en donna une de deux mille livres avant qu’elle menât M. le duc du Maine aux eaux ; il lui dit : Madame, je vous ai bien fait attendre, mais j’ai été jaloux de vos amis, et j’ai voulu que vous n’eussiez d’obligation qu’à moi. M. le cardinal de Fleury, de la bouche de qui je tiens ce fait, m’a dit que le roi lui tint le même discours quand il lui donna l’évêché de Fréjus. Elle avait environ cinquante ans quand Louis XIV s’attacha à elle. Il faut convenir qu’à cet âge on ne subjugue pas le cœur d’un roi, et surtout d’un roi devenu difficile, sans avoir un très-grand mérite. Il faut de la complaisance sans empressement, de l’esprit sans envie d’en montrer, une flexibilité naturelle, une conversation solide et agréable, l’art de réveiller sans cesse l’âme d’un homme accoutumé à tout et dégoûté de tout, assez de force pour donner de bons conseils, et assez de retenue pour ne les donner qu’à propos ; il faut enfin ce charme inexprimable qui enchaîne un esprit, et qui ranime les langueurs de l’habitude. Mme de Maintenon avait toutes ces qualités. Elle fit les douceurs de la vie de Louis XIV, depuis 1684 jusqu’à la mort de ce monarque. L’Histoire de Reboulet dit qu’il l’épousa en présence de Bontemps et de Forbin ; mais ce fut M. de Montchevreuil, et non M. de Forbin, qui assista comme témoin.

    La première femme du roi d’Angleterre Jacques second était fille du chancelier Hyde. Il s’en fallait beaucoup qu’elle fût d’aussi bonne maison que Mme de Maintenon, et elle n’avait pas son mérite. Nous avons vu Pierre le Grand épouser une personne bien inférieure à ces deux dames ; et cette épouse de Pierre le Grand devenir impératrice, et mériter de l’être. Le mérite fait disparaître bien des disproportions, et rapproche bien des intervalles. Une des choses qui prouva combien Mme de Maintenon était digne de sa fortune, c’est que jamais elle n’en abusa. Elle n’eut jamais la vanité de vouloir paraître ce qu’elle était ; sa modestie ne se démentit point ; personne à la cour n’eut à se plaindre d’elle. Elle se retira à Saint-Cyr après la mort de Louis XIV, et y vécut d’une pension de quatre-vingt mille livres ; c’était la seule fortune qu’elle se réserva. »

    Ce qui concerne Mme de Maintenon se retrouve dans le chapitre xxvii du Siècle de Louis XIV, avec quelques rectifications (voyez tome XIV). Quant à ce qui, dans le troisième alinéa, regarde Mme de Montespan, et surtout à l’utilité pour un roi d’avoir une maîtresse, il est bon de ne pas oublier qu’au moment où Voltaire écrivait cela, Mme de Pompadour avait auprès de Louis XV l’emploi que Mme de Montespan avait auprès de Louis XIV. On conçoit alors pourquoi cet alinéa ne fut pas répété dans le Mercure de 1750. (B.)