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ANECDOTES SUR LOUIS XIV.

proche qu’il fit ôter de la galerie de Versailles les inscriptions pleines d’enflure et de faste que Charpentier, de l’Académie française, avait mises à tous les cartouches : L’incroyable passage du Rhin, La sage conduite du roi, La merveilleuse entreprise de Valenciennes, etc.

Louis XIV supprima toutes les épithètes, et ne laissa que les faits. L’inscription qui est à Paris à la porte Saint-Denis, et qu’on lui a reprochée, est à la vérité insultante pour les Hollandais ; mais elle ne contient pour Louis XIV aucune louange révoltante. Il n’entendait point le latin, comme on l’a dit[1] ; il n’alla presque jamais à Paris, et peut-être n’a-t-il pas plus entendu parler de cette inscription que de celles de Santeul, qui sont aux fontaines de la ville. Il serait à souhaiter, après tout, que nous ne laissassions subsister aucun monument humiliant pour nos voisins, et que nous imitassions en cela les Grecs, qui, après la guerre du Péloponèse, détruisirent tout ce qui pouvait réveiller l’animosité et la haine. Les misérables histoires de Louis XIV disent presque toutes que l’empereur Léopold fit élever une pyramide dans le champ de bataille d’Hochstedt : cette pyramide n’a existé que dans des gazettes, et je me souviens que M.  le maréchal de Villars me dit qu’après la prise de Fribourg il envoya cinquante maîtres sur le champ où s’était donnée cette funeste bataille, avec ordre de détruire la pyramide en cas qu’elle existât, et qu’on n’en trouva pas le moindre vestige. Il faut mettre ce conte de la pyramide avec celui de la médaille du sta sol, arrête-toi, soleil, qu’on prétend que les États-Généraux avaient fait frapper après la paix d’Aix-la-Chapelle : sottise à laquelle ils ne pensèrent jamais.

Les choses principales dont Louis XIV tirait sa gloire étaient d’avoir, au commencement de son règne, forcé la branche d’Autriche espagnole, qui disputait depuis cent ans la préséance à nos rois, à la céder pour jamais en 1661 ; d’avoir entrepris, dès 1664, la jonction des deux mers ; d’avoir réformé les lois en 1667 ; d’avoir conquis la même année la Flandre française en six semaines ; d’avoir pris l’année suivante la Franche-Comté en moins d’un mois, au cœur de l’hiver ; d’avoir su ajouter à la France Dunkerque et Strasbourg. Que l’on ajoute à ces objets, qui devaient

  1. Page 234. Voici les inscriptions : « Ludovico magno. Quod diebus vix sexaginta Rhenum, Wahalim, Mosam, Isalam, superavit. Subjecit provincias tres, cepit urbes munitas quadraginta. Emendata male memori Batavorum gente, præfectus et ædiles P. CC. Anno D. MDCLXXII. » — Du côté du faubourg : « Ludovico magno. Quod Trajectum ad Mosam XIII diebus cepit. Præfectus et ædiles P. CC. Anno D. MDCLXXIII. »