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SUR DEUX ÉPÎTRES D’HELVÉTIUS.

Au sortir d’un souper où le brûlant désir
Vient d’éteindre ses feux sur l’autel du plaisir.
Ce galant précepteur du peuple du beau monde,
Indigne d’admirer les écrivains qu’il fronde,
Dit aux sots assemblés : Je suis pyrrhonien ;
Veut follement que l’homme ou sache tout ou rien.

Si Socrate autrefois consentit d’ignorer
Les secrets qu’un mortel ne saurait pénétrer,
Dans leur abîme au moins il tenta de descendre ;
S’il ne put le sonder, il osa l’entreprendre.

Que Locke soit ton guide, et qu’en tes premiers ans
Il affermisse au moins tes pas encor tremblants[1].
Si Locke n’atteint point au bout de la carrière,
Du moins sa main puissante en ouvrit la barrière.
À travers les brouillards des superstitions,
Lui seul des vérités aperçut les rayons.
D’un bras il abaissa l’orgueil du platonisme.
De l’autre il rétrécit le champ du pyrrhonisme.
Locke enfin évita la paresse et l’orgueil.
Fuyons également et l’un et l’autre écueil.
Le vrai n’est point un don ; c’est une récompense,
C’est un prix du travail, perdu par l’indolence.
Qu’il est peu de mortels par ce prix excités,
Qui descendent encore au puits des vérités[2] !
Le plaisir en défend l’entrée à la jeunesse ;
L’opiniâtreté la cache à la vieillesse[3].
Le prince, le prélat, l’amant, l’ambitieux,
Au jour des vérités tous ont fermé les yeux :
Et le ciel cependant[4], pour s’avancer vers elles,
Nous laisse encor des pieds, s’il nous coupa les ailes.
Jusqu’au temple du vrai, loin du mensonge impur[5],
La sagesse à pas lents peut marcher d’un pied sûr.

  1. Page encore excellenle. (Note de Voltaire.)
  2. Je ne sais si puits n’est pas un peu trop commun ; du reste cela est excellent. (Id.)
  3. On ne peut mieux. (Id.)
  4. Je voudrais quelque chose de mieux que et le ciel. Je voudrais aussi finir par quelque vers frappant. Votre épître en est pleine. (Id.)
  5. Je n’aime pas ce mensonge impur ; vous sentez que ce n’est qu’une épithète ; je crois vous avoir dit là-dessus mon scrupule.


    « Vous voyez bien, mon cher ami, qu’il n’y a plus que quelques rameaux à élaguer dans ce bel arbre. Croyez-moi, resserrez beaucoup ces rêveries de nos anciens philosophes ; c’est moins par là que par des peintures modernes que l’on réussit. Je vous le dis encore, vous pouvez aisément faire de cette épître un ouvrage qui sera unique en notre langue, et qui suffirait seul pour vous faire une