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ANECDOTES SUR LOUIS XIV.

Les chefs-d’œuvre de sculpture furent prodigués dans ses jardins. Il en jouissait, et les allait voir souvent. J’ai ouï dire à feu M. le duc d’Antin que, lorsqu’il fut surintendant des bâtiments, il faisait quelquefois mettre ce qu’on appelle des cales entre les statues et les socles, afin que, quand le roi viendrait se promener, il s’aperçût que les statues n’étaient pas droites, et qu’il eût le mérite du coup d’œil. En effet, le roi ne manquait pas de trouver le défaut. M. d’Antin contestait un peu, et ensuite se rendait, et faisait redresser la statue, en avouant avec une surprise affectée combien le roi se connaissait à tout. Qu’on juge par cela seul combien un roi doit aisément s’en faire accroire.

On sait le trait[1] de courtisan que fit ce même duc d’Antin, lorsque le roi vint coucher à Petitbourg, et qu’ayant trouvé qu’une grande allée de vieux arbres faisait un mauvais effet, M. d’Antin la fit abattre et enlever la même nuit ; et le roi, à son réveil, n’ayant plus trouvé son allée, il lui dit : « Sire, comment vouliez-vous qu’elle osât paraître encore devant vous ? Elle vous avait déplu. »

Ce fut le même duc d’Antin qui, à Fontainebleau, donna au roi et à Mme la duchesse de Bourgogne un spectacle plus singulier, et un exemple plus frappant du raffinement de la flatterie la plus délicate. Louis XIV avait témoigné qu’il souhaiterait qu’on abattît quelque jour un bois entier qui lui ôtait un peu de vue. M. d’Antin fit scier tous les arbres du bois près de la racine, de façon qu’ils ne tenaient presque plus ; des cordes étaient attachées à chaque corps d’arbre, et plus de douze cents hommes étaient dans ce bois prêts au moindre signal. M. d’Antin

    les évaluations de Voltaire que, craignant de voir l’architecture compromise, C.-A. Guillaumot, architecte, a publié des Observations sur le tort que font à l’architecture les déclamations hasardées et exagérées contre les dépenses qu’occasionne la construction des monuments publics ; Paris, Perronneau, an IX, in-8° de trente-trois pages. Guillaumot fait monter la dépense de Versailles seulement à près de cent vingt-deux millions de notre espèce actuelle. Je ne sais pourquoi l’auteur a porté les dépenses en monnaie de son temps : il était plus naturel de les donner telles qu’il les trouvait aux sources où il dit avoir puisé. Ce qui peut diminuer encore la confiance dans ses calculs, c’est que ses additions ne sont pas justes ; au surplus, son écrit, dont on trouve un extrait dans la troisième édition de l’Histoire de Fénelon, par le cardinal de Bausset, a été analysé avec plus d’exactitude dans les Documents authentiques et Détails curieux sur les dépenses de Louis XIV, par G. Peignot, 1827, in-8°. Malgré Guillaumot, il est permis de croire que Voltaire a été ici, comme tant d’autres fois, mieux instruit et plus exact qu’on ne voudrait. (B.)

    — Pour la construction seule du palais, on compte, jusqu’en 1690, quatre-vingt-huit millions. (G. A.)

  1. Voyez, tome XIV, le chapitre xxviii du Siècle de Louis XIV.