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ARRIVÉS DANS NOTRE GLOBE.

Les Babyloniens prétendaient, au temps d’Alexandre, avoir des observations astronomiques de 400,300 années. On tâcha de concilier ces calculs des Babyloniens avec l’hypothèse de la révolution de deux millions d’années. Enfin quelques philosophes conclurent que chaque climat ayant été à son tour tantôt pôle, tantôt ligne équinoxiale, toutes les mers avaient changé de place.

L’extraordinaire, le vaste, les grandes mutations, sont des objets qui plaisent quelquefois à l’imagination des plus sages. Les philosophes veulent de grands changements dans la scène du monde, comme le peuple en veut aux spectacles. Du point de notre existence et de notre durée notre imagination s’élance dans des milliers de siècles, pour voir avec plaisir le Canada sous l’équateur, et la mer de la Nouvelle-Zemble sur le mont Atlas.

Un auteur qui s’est rendu plus célèbre qu’utile par sa théorie de la terre[1] a prétendu que le déluge bouleversa tout notre globe, forma des débris du monde les rochers et les montagnes, et mit tout dans une confusion irréparable ; il ne voit dans l’univers que des ruines. L’auteur d’une autre théorie[2], non moins célèbre, n’y voit que de l’arrangement, et il assure que sans le déluge cette harmonie ne subsisterait pas ; tous deux n’admettent les montagnes que comme une suite de l’inondation universelle.

Burnet, en son cinquième chapitre, assure que la terre avant le déluge était unie, régulière, uniforme, sans montagnes, sans vallées, et sans mers ; le déluge fit tout cela, selon lui : et voilà pourquoi on trouve des cornes d’Ammon dans l’Apennin.

Woodward veut bien avouer qu’il y avait des montagnes ; mais il est persuadé que le déluge vint à bout de les dissoudre avec tous les métaux, qu’il s’en forma d’autres, et que c’est dans cette nouvelle terre qu’on trouve ces cailloux autrefois amollis par les eaux, et remplis aujourd’hui d’animaux pétrifiés. Woodward aurait pu à la vérité s’apercevoir que le marbre, le caillou, etc., ne se dissolvent point dans l’eau, et que les écueils de la mer sont encore fort durs. N’importe ; il fallait pour son système que l’eau eût dissous, en cent cinquante jours, toutes les pierres et

  1. Buffon.
  2. Demaillet ; voyez les notes, tome XXI, pages 186 et 331.