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REMARQUES.

[1]Heureux si l’homme encor, moins souple à l’imposture,
Maître de s’égarer au champ de la nature,
Par delà tous les deux n’eût poursuivi l’erreur !
Mais d’un fougueux esprit qui peut calmer l’ardeur ?
Oui peut le retenir dans les bornes prescrites ?
L’univers est borné, l’orgueil est sans limites.
Que n’ose point l’orgueil ? Il passe jusqu’à Dieu.
L’un dit qu’il est partout sans être en aucun lieu,
Dans un long argument qu’à l’école il propose,
Prétend que rien n’est Dieu, mais qu’il est chaque chose.
Et le pédant ainsi, tyran de la raison,
Croit donner une idée, et ne forme qu’un son[2].

Helvétius fait ensuite le portrait de la Paresse :

Elle seule (la Paresse) s’admire en sa propre ignorance,
Par un faux ridicule avilit la science[3],
Et parée au dehors d’un dédain affecté,
Dans son dépit jaloux prêche l’oisiveté.
Loin des travaux, dit-elle, au sein de la mollesse,
Vivez et soyez tous ignorants par sagesse.
Votre esprit n’est point fait pour pénétrer, pour voir ;
C’est assez s’il apprend qu’il ne peut rien savoir.
.................
Sachons que, s’il nous faut consentir d’ignorer
Les secrets où l’esprit ne saurait pénétrer,
Que[4] la nature aussi, trop semblable à Protée,
N’ouvrit jamais son sein qu’aux yeux d’un Aristée.

  1. Les six vers suivants sont très-beaux. (Note de Voltaire.)
  2. À merveille ! (Id.)
  3. Ces deux vers sont à la Molière, les deux suivants à la Boileau, les quatre à la Helvétius, et très-beaux. (Id.)
  4. Il y a là deux que pour un. Prenez garde aux que et aux qui. Ces maudits qui énervent tout. D’ailleurs Protée et Aristée viennent là trop abrupto. Cela serait bon si cette seconde partie de la période avait quelque rapport avec la première. On pourrait dire : Sachons que, si la nature est un Protée qui se cache aux paresseux, elle se découvre aux Aristée. Sans cette attention à toutes vos périodes, vous n’écrirez jamais clairement ; et sans la clarté, il n’y a jamais de beauté. Souvenez-vous du vers de Despréaux (épître ix, 59) :


    Ma pensée au grand jour toujours s’offre et s’expose.


    Voltaire, à la fin de l’épître, ajoute pour dernière note : Cette fin tourne trop court, est trop négligée. En remaniant cet ouvrage, vous pouvez le rendre excellent. (Id.)