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CONSEILS À M. RACINE.

remords, leur âme infortunée ? Quatrièmement, qui est-ce qui attend sa triste destinée du hasard, tandis que les écoliers de seconde savent aujourd’hui que le hasard n’est qu’un nom ? C’est donc à tort que dès le commencement de son poëme, à la page 6, il dit[1] :

Ô toi qui vainement fais ton Dieu du hasard !

Car, encore une fois, il n’y a aucun livre écrit depuis cent ans où l’on attribue quelque chose au hasard. Le grand système des matérialistes est la nécessité.

J’apporte à M.  Racine ce petit exemple entre plusieurs autres, ne doutant pas qu’un esprit comme le sien ne sente de quel prix est la justesse, et ne remédie à ces légers défauts partout où il les trouvera dans son livre.

Il néglige, dans son poëme sur notre religion, le grand fondement de cette religion même, qui est la nécessité d’un rédempteur ; et, au lieu de parler de cette nécessité, il apporte en preuve de la mission de Jésus-Christ je ne sais quel bruit, qui courut du temps de Vespasien, que l’empire romain serait à un homme qui viendrait de Judée : c’est exposer notre sainte religion au mépris des déistes dont la terre est couverte. Ils dédaignent nos bonnes raisons quand on leur en rapporte de si mauvaises ; la cause de notre Sauveur Jésus-Christ s’affaiblit par l’inattention du poëte.

C’est ainsi que nous avons vu depuis quelque temps le Mercure galant rempli d’étranges dissertations sur Jésus-Christ et les prophètes, par des hommes un peu incompétents, qui voulaient expliquer des prophéties que Grotius, Huet, Calmet, Hardouin, n’ont pu entendre. On a vu, avec une extrême douleur, les choses sacrées ainsi profanées et livrées à l’injuste dérision des esprits forts. Je conjure donc instamment M.  Racine d’employer de meilleures preuves avec l’éloquence dont il est capable. Je ne veux que la perfection de l’ouvrage, la gloire de l’auteur, le bien des lettres et du public.

Je prends la liberté de l’engager à faire encore de nouveaux efforts quand il lutte contre les anciens et les modernes dans ses descriptions. Par exemple, M.  de Voltaire, dans un de ses discours en vers[2], s’est ainsi expliqué :


Le sage Dufaï, parmi ces plants divers,
Végétaux rassemblés des bouts de l’univers,

  1. Chant Ier, 113.
  2. Quatrième Discours sur l’Homme, vers 23-30 ; voyez tome IX. La citation faite ici présente une transposition.