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CONSEILS À M. RACINE.

je demande à M. Racine ; mais plus de chaleur, plus de figures, et des tableaux plus frappants.

Tantôt je voudrais qu’il interrogeât la Sagesse éternelle, qui lui répondrait du haut des cieux ; tantôt que le Verbe lui-même, descendu sur la terre, vînt y confondre Mahomet, Confucius, Zoroastre, appelés un moment du sein des ténèbres pour l’entendre ; ici, je voudrais que l’abîme s’entr’ouvrit : j’aimerais à y descendre en idée pour interroger les sages de l’antiquité, et pour arracher d’eux l’aveu qu’ils n’ont point connu la sagesse.

Là, je ferais l’histoire d’un prince qui, dans les grandeurs, dans les victoires, et dans les plaisirs, cherchât[1] inutilement le bonheur, qui le trouvât ensuite dans la solitude. Plus loin, je peindrais un homme que l’enivrement du monde rendrait dur et malheureux, devenu ensuite compatissant, indulgent, bienfaisant, et par conséquent heureux. Cent images dans ce goût réveilleraient l’esprit du lecteur que l’historique assoupit, et que le dogmatique endort.

J’exhorte encore l’auteur à penser de lui-même : il en est capable. Il ne faut point toujours mettre en vers Pascal, saint Augustin, Arnauld. Cet asservissement de l’esprit le gêne trop dans sa marche. Trop d’imitation éteint le génie. S’il veut commencer par donner l’essor à son âme, alors il sera temps de le prier de corriger les négligences de style. Alors je prendrai la liberté de lui faire remarquer que le premier chant commence un peu languissamment ; non qu’il faille des vers trop forts dans un début, mais il ne faut pas ramper.

L’idée d’un appui véritable que la raison rend aimable[2] n’est pas, à beaucoup près, assez grande. Il s’agit du bonheur de tous les hommes, et d’un bonheur éternel ; les paroles doivent peindre. D’ailleurs est-ce une grande merveille que notre appui véritable nous devienne aimable ? La difficulté, la beauté consiste à rendre aimable un joug, une servitude qui nous gêne, et non un appui qui nous rassure.

Je lui dirai encore que dès la première page on ne doit pas se négliger au point de dire les droits, la gloire t’est chère. Ces fautes

  1. L’édition originale porte : « Chercha, inutilement le bonheur, qu’il trouva ensuite, etc. » (B.)
  2. Voici les quatre premiers vers du poëme de la Religion :

    La Raison dans mes vers conduit l’homme à la foi ;
    C’est elle qui, portant son flambeau devant moi,
    M’encourage à chercher mon appui véritable,
    M’apprend à le connaître, et me le rend aimable.