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EXTRAIT DE LA NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE.

tions, c’est que les principes de la saine morale commencent à être plus répandus ; les hommes ont plus cultivé leur esprit, ils en sont moins féroces ; et peut-être est-ce une obligation qu’on a aux gens de lettres qui ont poli l’Europe. »

Il semblerait, à la première lecture, que c’est un homme de lettres qui a écrit ce passage, soit par un intérêt particulier, soit par le goût que l’on sent toujours pour sa profession, et par ce désir naturel de la rendre plus recommandable. Il est pourtant très-certain, et nous en sommes convaincus par le témoignage de nos yeux, et par la confrontation la plus scrupuleuse, que ce n’est point un homme de lettres, un simple philosophe qui parle ainsi ; c’est un homme né dans un rang où il est ordinaire de mépriser les gens de lettres, de les compter pour rien dans l’État, d’ignorer même s’ils existent.

Quelle bonté et quelle magnanimité dans tout le reste de l’ouvrage ! comme la vertu qui y règne est indulgente ! qu’elle est éloignée de cette superstition pédantesque qui s’effarouche de tout ! qu’on sent bien que c’est un homme qui écrit, et non pas un pédagogue qui veut se mettre au-dessus de l’homme !

Plus d’un prince, à la vérité, a honoré les sciences par des écrits qui ont passé à la postérité. Les Césars de Julien, ce philosophe couronné, vivront tant qu’il y aura du goût sur la terre ; mais ce n’est qu’une satire ingénieuse. Ses autres écrits seront estimés des savants ; mais la vertu et l’éloquence qui y règnent sont employées à soutenir une cause que nous réprouvons. Henri VIII d’Angleterre écrivit contre Luther ; mais on ne lit ni l’un ni l’autre. Jacques Ier composa des ouvrages ; mais ni son règne ni ses écrits n’ont eu l’approbation universelle. Si nous remontons jusqu’à Jules César, nous avons perdu sa tragédie d’Œdipe, et nous avons ses Commentaires ; ils sont le bréviaire, dit-on, des gens de guerre, moins lus peut-être qu’estimés. Après tout, c’est l’ouvrage d’un usurpateur, et l’histoire des malheurs qu’il a causés, non moins que des belles actions qu’il a faites ; mais il n’y a pas une page dans le livre que nous annonçons qui ne soit destinée à rendre les hommes meilleurs et plus heureux.

L’auteur d’un roman intitulé Séthos[1] a dit que si le bonheur du monde pouvait naître d’un livre, il naîtrait de Télémaque.

  1. L’abbé Terrasson, contre lequel Voltaire a fait l'épigramme qui se termine par ce vers :

    Frappez fort, il a fait Séthos.

    Voyez tome X, page 490.