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DES INSTITUTIONS PHYSIQUES.

motrice ; deux puissances qui le pressent en même temps, et qui lui donnent deux degrés de vitesse, lui en donnent deux de force ; et dans deux temps elles lui en donneront quatre de force. Cela parut clair et démontré à tous les mathématiciens.

Newton fut, sur ce point, de l’avis de Descartes ; et l’expérience dans toutes les parties des mécaniques fut d’accord avec leurs démonstrations.

Mais Leibnitz ayant besoin que cette théorie ne fût pas vraie, afin qu’il y eût toujours égale quantité de force dans la nature, prétendit qu’on s’était trompé jusque-là, et qu’on aurait dû estimer la force motrice des corps en mouvement par le carré de leurs vitesses multipliées par leurs masses ; et avec cette manière de compter, Leibnitz trouvait qu’en effet il se perdait du mouvement dans la nature, mais qu’il pouvait bien ne se perdre point de force.

Le docteur Clarke, illustre élève de Newton, traita ce sentiment de Leibnitz avec beaucoup de hauteur, et lui reprocha sans détour que ses sophismes étaient indignes d’un philosophe.

Il discuta cette question dans la cinquième Réplique à Leibnitz, qui roulait d’ailleurs sur d’autres sujets importants.

Il fit voir qu’il est impossible d’omettre le temps ; que quand un corps tombe par la force de la gravité, il reçoit en temps égaux des degrés de vitesse égaux.

Il répondit à toutes les objections, qui se réduisent à celle-ci : Qu’un mobile tombe de la hauteur trois, il fait effet comme trois ; qu’il tombe de la hauteur six, il agit comme six, c’est-à-dire il agit en raison de ses hauteurs ; mais ces hauteurs sont comme le carré de ses vitesses : donc, disent les partisans de Leibnitz, qui l’ont éclairci depuis, un mobile agit comme le carré de ses vitesses ; donc sa force est comme le carré.

Samuel Clarke renversa, dis-je, toutes ces objections en faisant voir de quoi est composé ce carré. Un corps parcourt un espace, cet espace est le produit de sa vitesse par le temps ; or le temps et la vitesse sont égaux : donc il est évident que ce carré de la vitesse n’est autre chose que le temps lui-même, multiplié ou par lui-même, ou par cette vitesse ; ce qui rend parfaitement raison de ce carré, qui étonnait M.  de Fontenelle en 1721. D’où viendrait, dit-il, ce carré ? On voit clairement ici d’où il vient.

Mais on ne voit guère d’abord comment, après une pareille explication, il y avait encore lieu de disputer. L’émulation qui régnait alors entre les Anglais et les amis de Leibnitz engagea un des plus grands mathématiciens de l’Europe, le célèbre Jean Bernouilli, à secourir Leibnitz : tout ce qui porte le nom de