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SUR L’INCENDIE D’ALTENA.

Depuis quelques jours, un Hambourgeois, homme de lettres et de mérite, nommé M. Richey, m’ayant fait l’honneur de me venir voir, m’a renouvelé ces plaintes au nom de ses compatriotes.

Voici le fait, et voici ce que je suis obligé de déclarer.

Dans le fort de cette guerre malheureuse qui a ravagé le Nord, les comtes de Stenbock et de Volling, généraux du roi de Suède, prirent en 1713, dans la ville de Hambourg même, la résolution de brûler Altena, ville commerçante, appartenante aux Danois, et qui commençait à faire quelque ombrage au commerce de Hambourg.

Cette résolution fut exécutée sans miséricorde la nuit du 9 janvier. Ces généraux couchèrent à Hambourg cette nuit-là même ; ils y couchèrent le 10, le 11, le 12, et le 13, et datèrent de Hambourg les lettres qu’ils écrivirent pour tâcher de justifier cette barbarie.

Il est encore certain, et les Hambourgeois n’en disconviennent pas, qu’on refusa l’entrée de Hambourg à plusieurs Altenais, à des vieillards, à des femmes grosses, qui y vinrent demander un refuge ; et que quelques-uns de ces misérables expirèrent sous les murs de cette ville, au milieu de la neige et de la glace, consumés de froid et de misère, tandis que leur patrie était en cendres.

J’ai été obligé de rapporter ces faits dans l’Histoire de Charles XII. Un de ceux qui m’ont communiqué des mémoires me marque très-positivement, dans une de ses lettres, que les Hambourgeois avaient donné de l’argent au comte de Stenbock pour l’engager à exterminer Altena, comme la rivale de leur commerce. Je n’ai point adopté une accusation si grave : quelque raison que j’aie d’être convaincu de la méchanceté des hommes, je n’ai jamais cru le crime si aisément ; j’ai combattu efficacement plus d’une calomnie ; et je suis le seul qui ait osé justifier la mémoire du comte Piper par des raisons, lorsque toute l’Europe le calomniait par des conjectures.

Au lieu donc de suivre le mémoire qu’on m’avait envoyé, je me suis contenté de rapporter qu’on disait que les Hambourgeois avaient donné secrètement de l’argent au comte de Stenbock.

Ce bruit a été universel et fondé sur des apparences : un historien peut rapporter les bruits aussi bien que les faits ; et quand il ne donne une rumeur publique, une opinion, que pour une opinion, et non pour une vérité, il n’en est ni responsable ni répréhensible.