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REMARQUES SUR LES PENSÉES

 V. Croyez-vous qu’il soit impossible que Dieu soit infini, sans parties ? Oui. Je veux donc vous faire voir une chose infinie et indivisible : c’est un point se mouvant partout d’une vitesse infinie, car il est en tous lieux et tout entier dans chaque endroit.

Il y a là quatre faussetés palpables :

1° Qu’un point mathématique existe seul ;
2° Qu’il se meuve à droite et à gauche en même temps ;
3° Qu’il se meuve d’une vitesse infinie : car il n’y a vitesse si grande qui ne puisse être augmentée ;
4° Qu’il soit tout entier partout.

 VI. Homère fait un roman qu’il donne pour tel, car personne ne doutait que Troie et Agamemnon n’avaient non plus été que la pomme d’or.

Jamais aucun écrivain n’a révoqué en doute la guerre de Troie. La fiction de la pomme d’or ne détruit pas la vérité du fond du sujet. L’ampoule apportée par une colombe, et l’oriflamme par un ange, n’empêchent pas que Clovis n’ait en effet régné en France.

 VII. Je n’entreprendrai pas ici de prouver par des raisons naturelles, ou l’existence de Dieu, ou la Trinité, ou l’immortalité de l’âme[1], parce que je ne me sentirais pas assez fort pour trouver dans la nature de quoi convaincre des athées endurcis.

Encore une fois, est-il possible que ce soit Pascal qui ne se sente pas assez fort pour prouver l’existence de Dieu ?

 VIII. Les opinions relâchées plaisent tant aux hommes naturellement, qu’il est étrange qu’elles leur déplaisent.

L’expérience ne prouve-t-elle pas au contraire qu’on n’a de crédit sur l’esprit des peuples qu’en leur proposant le difficile, l’impossible même à faire et à croire ? Les stoïciens furent respectés parce qu’ils écrasaient la nature humaine. Ne proposez que des choses raisonnables, tout le monde répond : Nous en savions autant. Ce n’est pas la peine d’être inspiré pour être commun. Mais commandez des choses dures, impraticables ; peignez la

  1. ni aucune des choses de cette nature ; non-seulement parce que je ne me sentirais pas assez fort pour trouver dans la nature de quoi convaincre des athées endurcis, mais encore parce que cette connaissance, sans Jésus-Christ, est inutile et stérile.