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REMARQUES SUR LES PENSÉES

vient point, par le raisonnement, à voir qu’un corps toujours changeant doit être ressuscité un jour, tel qu’il était dans le temps même qu’il changeait. Le raisonnement ne conduit point non plus à voir qu’un homme doit naître sans germe. La création est donc un objet de la raison ; mais les deux autres miracles sont un objet de la foi.

10 MAI 1738[1].

J’ai lu depuis peu des Pensées de Pascal qui n’avaient point encore paru[2]. Le P. Desmolets[3] les a eues, écrites de la main de cet illustre auteur, et on les a fait imprimer : elles me paraissent confirmer ce que j’ai dit[4] : que ce grand génie avait jeté au hasard toutes ses idées pour en réformer une partie et employer l’autre, etc.

Parmi ces dernières pensées, que les éditeurs des Œuvres de Pascal avaient rejetées du recueil, il me paraît qu’il y en a beaucoup qui méritent d’être conservées. En voici quelques-unes que ce grand homme eût dû, ce me semble, corriger.

 I. Toutes les fois qu’une proposition est inconcevable, il faut en suspendre le jugement, et ne pas la nier à cette marque ; mais en examiner le contraire, et si on le trouve manifestement faux, on peut hardiment affirmer la première, tout incompréhensible qu’elle est[5].

Il me semble qu’il est évident que les deux contraires peuvent être faux. Un bœuf vole au sud avec des ailes, un bœuf vole au nord sans ailes ; vingt mille anges ont tué hier vingt mille hommes, vingt mille hommes ont tué hier vingt mille anges ; ces propositions sont évidemment fausses.

  1. Les huit remarques qui suivent ont paru aussi en 1742, à la suite des précédentes, mais avec un numérotage particulier. La date de leur publication prouve que c’est à tort que parfois on les a datées de 1713. La date que j’ai mise est celle qu’on lit dans l’édition de 1742. (B.)
  2. Les Pensées de Pascal qui n’avaient pas encore paru sont celles que le P. Desmolets publia, en 1728, dans la seconde partie du tome V de la Continuation des mémoires de littérature et d’histoire.
  3. Desmolets, oratorien, né en 1678, mort en 1760.
  4. Page 28.
  5. Comment une proposition est-elle inconcevable, tandis que la proposition contradictoire (c’est le sens de Pascal, ou sa pensée n’en a aucun) est manifestement fausse ? ou comment sait-on qu’une proposition est fausse, quand on ne l’entend point ? Il est impossible de croire véritablement ce qu’on ne conçoit pas : mais on peut ignorer les liaisons, les causes d’un fait observé ; on peut ne pas entendre parfaitement certaines conséquences d’une vérité prouvée. (K.)