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DE M. PASCAL.

 XLV. (XLIV.) À mesure qu’on a plus d’esprit, on trouve qu’il y a plus d’hommes originaux. Les gens du commun ne trouvent pas de différence entre les hommes.

Il y a très-peu d’hommes vraiment originaux ; presque tous se gouvernent, pensent et sentent, par l’influence de la coutume et de l’éducation. Rien n’est si rare qu’un esprit qui marche dans une route nouvelle. Mais parmi cette foule d’hommes qui vont de compagnie, chacun a de petites différences dans la démarche, que les vues fines aperçoivent.

 XLVI.[1]La mort est plus aisée à supporter sans y penser, que la pensée de la mort sans péril.

On ne peut pas dire qu’un homme supporte la mort aisément ou malaisément, quand il n’y pense point du tout. Qui ne sent rien ne supporte rien[2].

 XLVII. (XLVIII.)[3] Tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment.

Notre raisonnement se réduit à céder au sentiment en fait de goût, non en fait de science.

  1. Cet article est aussi le xlvie dans l’édition de 1734. Voici ce qui y formait l’article xlv :

    Texte de Pascal. « Il y a donc deux sortes d’esprits : l’un, de pénétrer vivement et profondément les conséquences des principes, et c’est là l’esprit de justesse ; l’autre, de comprendre un grand nombre de principes sans les confondre, et c’est là l’esprit de géométrie. »

    Note de Voltaire. « L’usage veut, je crois, aujourd’hui, qu’on appelle esprit géométrique l’esprit méthodique et conséquent. »

  2. Pascal entend apparemment les douleurs qu’on éprouve à l’instant de la mort, et dans ce sens sa pensée est vraie. Sans les idées religieuses, les terreurs de la mort seraient bien peu de chose : on serait fâché de mourir, si on se trouvait heureux dans le monde, comme on l’est d’aller se coucher au lieu d’aller au bal, même avec la certitude de bien dormir ; on serait affligé de mourir lorsque le bonheur des personnes qu’on aime, leur sort, leur bien-être, dépendraient de notre existence. (K.)
  3. Voici ce qui, dans l’édition de 1734, formait l’article xlvii.
    Texte de Pascal. « Nous supposons que tous les hommes conçoivent et sentent de la même sorte les objets qui se présentent à eux ; mais nous le supposons bien gratuitement, car nous n’en avons aucune preuve. Je vois bien qu’on applique les mêmes mots dans les mêmes occasions, et que toutes les fois que deux hommes voient, par exemple, de la neige, ils expriment tous deux la vue de ce même objet par les mêmes mots, en disant l’un et l’autre qu’elle est blanche ; et de cette conformité d’application on tire une puissante conjecture d’une conformité d’idée ; mais cela n’est pas absolument convaincant, quoiqu’il y ait bien à parier pour l’affirmative. »