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REMARQUES SUR LES PENSÉES


XIX. S’il n’y avait qu’une religion, Dieu serait trop manifeste.


Quoi ! vous dites que, s’il n’y avait qu’une religion, Dieu serait trop manifeste ! Eh ! oubliez-vous que vous dites souvent qu’un jour il n’y aura qu’une religion ? Selon vous, Dieu sera donc alors trop manifeste.


XX. Je dis qu’elle (la religion des Juifs) ne consistait en aucune de ces choses, mais seulement en l’amour de Dieu, et que Dieu réprouvait toutes les autres choses.


Quoi ! Dieu réprouvait tout ce qu’il ordonnait lui-même avec tant de soin aux juifs, et dans un détail si prodigieux ! N’est-il pas plus vrai de dire que la loi de Moïse consistait et dans l’amour et dans le culte ? Ramener tout à l’amour de Dieu sent peut-être moins l’amour de Dieu que la haine que tout janséniste a pour son prochain moliniste.


XXI. La chose la plus importante à la vie, c’est le choix d’un métier ; le hasard en dispose. La coutume fait les maçons, les soldats, les couvreurs.


Qui peut donc déterminer les soldats, les maçons et tous les ouvriers mécaniques, sinon ce qu’on appelle hasard et la coutume ? Il n’y a que les arts de génie auxquels on se détermine de soi-même. Mais, pour les métiers que tout le monde peut faire, il est très naturel et très raisonnable que la coutume en dispose.


XXII. Que chacun examine sa pensée[1] ; il la trouvera toujours occupée au passé et à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent ; et si nous y pensons, ce n’est que pour en prendre des lumières[2] pour disposer l’avenir. Le présent n’est jamais notre but ; le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre objet.


Il est faux que nous ne pensions point au présent : nous y pensons en étudiant la nature, et en faisant toutes les fonctions de la vie ; nous pensons aussi beaucoup au futur. Remercions l’auteur de la nature de ce qu’il nous donne cet instinct qui nous emporte sans cesse vers l’avenir. Le trésor le plus précieux de l’homme est cette espérance qui nous adoucit nos chagrins, et qui nous peint des plaisirs futurs dans la possession des plaisirs

  1. Texte exact : ses pensées.
  2. Texte exact : la lumière.