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TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE X.

Mais jamais les astronomes ne s’expriment d’une manière moins conforme à la vérité que quand ils disent dans tous les almanachs : Le soleil entre au printemps dans un tel degré du bélier. L’été commence avec le signe du cancer ; l’automne, avec la balance. Il y a

    façon que les méridiens ne changent point : car la terre, en s’approchant de l’écliptique, peut, pendant bien des siècles, marcher toujours d’occident en orient, et Constantinople, par exemple, sera toujours en ce cas plus orientale que Paris d’un même nombre de minutes ; mais enfin le chevalier de Louville s’était pu tromper lui-même, et avoir vu un décroissement d’obliquité qui n’existe point. Pythéas surtout était vraisemblablement la source de toutes ces erreurs : il avait observé, comme la plupart des anciens, avec peu d’exactitude ; il était donc de la prudence avec laquelle on procède aujourd’hui en physique d’attendre de nouveaux éclaircissements ; ainsi le petit nombre qui peut juger de ce grand différend, demeura dans le silence.

    « Enfin, en 1734, M. Godin (l’un des philosophes que l’amour de la vérité vient de conduire au Pérou) reprit le fil de ces découvertes. Il ne s’agit plus ici de l’examen d’une pyramide sur laquelle il restera toujours des difficultés ; il faut partir de la fameuse méridienne tracée, en 1655, par Dominique Cassini, dans l’église de Saint-Pétrone, avec une précision dont on est plus sûr que de celle des architectes des pyramides. L’obliquité de l’écliptique qui en résultait est de 23° 29’ 15’’ ; mais on ne peut plus douter, par les dernières observations, que cet angle de l’écliptique et de l’équateur n’est à présent que de 23° 28’ 20’’ à peu près ; on n’est pas encore sûr que cet angle n’augmente pas quelquefois ainsi qu’il paraît diminuer : il faut être en défiance sur les réfractions inconstantes, sur les instruments dont on se sert, et surtout sur l’envie qu’on a de trouver de la diminution dans cet angle. Peut-être même l’obliquité de l’écliptique est tantôt plus grande et tantôt moindre par un balancement de la terre, dont son élévation à l’équateur est la cause ; enfin, peut-être la géographie paraît-elle décider cette question. Il faudrait mesurer exactement l’élévation du pôle des ruines de l’ancienne ville de Syène, en Égypte. L’on sait, au rapport de Strabon, dans le dernier livre de sa Géographie, que cette ville était située précisément sous le tropique du cancer, et qu’il y avait un puits très-profond dans lequel on ne voyait jamais l’image du soleil qu’au point de midi, au solstice d’été, le soleil donnant verticalement sur la surface horizontale de l’eau, au bas du puits. Strabon ajoute, au même endroit, qu’en partant de la Grèce, cette ville était la première qu’on rencontrait, où les gnomons, c’est-à-dire des colonnes érigées verticalement, n’eussent point d’ombre méridienne une fois dans l’année, savoir au solstice d’été ; de sorte que voilà deux preuves différentes qui nous assurent que du temps de Strabon, ou quelque temps avant lui, le tropique du cancer a passé par le point vertical de cette ville.

    « Or, si en mesurant à présent la latitude de l’endroit où a été autrefois cette ville, on y trouvait le pôle septentrional élevé de 23 degrés 49 minutes ou davantage, ce serait une preuve indubitable que M. le chevalier de Louville avait trouvé la vérité, et que l’obliquité de l’écliptique était diminuée de 20 minutes pendant près de dix-huit siècles.

    « Mais si, au contraire, on n’y trouvait le pôle élevé que de 23 degrés et 1/2 ou environ, il faudrait conclure, sans hésiter, que, pendant toute cette suite de siècles, l’obliquité en question a été constamment la même, ou que sa diminution n’a rien eu de considérable, et que l’espace compris entre l’équinoxiale et l’écliptique ne s’est que peu ou point rétréci. Il ne reste donc qu’à découvrir la situation de cette ancienne ville au voisinage du Nil et de l’île Éléphantine. Si je m’en rapporte au témoignage de M. l’abbé Pincia, qui était sur les lieux en 1715, la