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EFFETS DE LA GRAVITATION DANS LA LUNE.

une ellipse, et qui s’approche de son foyer, ne tombe point cependant dans ce foyer.

De ces inégalités du cours de la lune, causées par l’attraction, vous conclurez avec raison que deux planètes quelconques, assez voisines, assez grosses pour agir l’une sur l’autre sensiblement, ne pourront jamais tourner dans des cercles autour du soleil, ni même dans des ellipses absolument régulières. Ainsi, les courbes que décrivent Jupiter et Saturne éprouvent, par exemple, des variations sensibles, quand ces astres sont en conjonction ; quand, étant le plus près l’un de l’autre qu’il est possible, et le plus loin du soleil, leur action mutuelle augmente, et celle du soleil sur eux diminue.

Cette gravitation, augmentée et affaiblie selon les distances, assignait donc nécessairement une figure elliptique irrégulière au chemin de la plupart des planètes : ainsi la loi de la gravitation n’est point l’effet du cours des astres ; mais l’orbite qu’ils décrivent est l’effet de la gravitation. Si cette gravitation n’était pas, comme elle est, en raison inverse des carrés des distances, l’univers ne pourrait subsister dans l’ordre où il est.

Si les satellites de Jupiter et de Saturne font leur révolution dans les courbes qui sont plus approchantes du cercle, c’est qu’étant très-proches des grosses planètes, qui sont leur centre, et très-loin du soleil, l’action du soleil ne peut changer le cours de ces satellites, comme elle change le cours de notre lune ; il est donc prouvé que la gravitation, dont le nom seul semblait un si étrange paradoxe, est une loi nécessaire dans la constitution du monde : tant ce qui est peu vraisemblable est vrai quelquefois !

Il n’y a pas à présent de bon physicien qui ne reconnaisse et la règle de Kepler, et la nécessité d’admettre une gravitation telle que Newton l’a prouvée ; mais il y a encore des philosophes attachés à leurs tourbillons de matière subtile, qui voudraient concilier ces tourbillons imaginaires avec ces vérités démontrées.

Nous avons déjà vu combien ces tourbillons sont inadmissibles ; mais cette gravitation même ne fournit-elle pas une nouvelle démonstration contre eux ? Car, supposé que ces tourbillons existassent, ils ne pourraient tourner autour d’un centre que par les lois de cette gravitation même ; il faudrait donc recourir à cette gravitation comme à la cause de ces tourbillons, et non pas aux tourbillons prétendus comme à la cause de la gravitation.

Si, étant forcé enfin d’abandonner ces tourbillons imaginaires, on se réduit à dire que cette gravitation, cette attraction dépend de quelque autre cause connue, de quelque autre propriété