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TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE III.

Un jour, en l’année 1666, Newton, retiré à la campagne, et voyant tomber des fruits d’un arbre, à ce que m’a conté sa nièce (Mme Conduit), se laissa aller à une méditation profonde sur la cause qui entraîne ainsi tous les corps dans une ligne qui, si elle était prolongée, passerait à peu près par le centre de la terre[1].

Quelle est, se demandait-il à lui-même, cette force qui ne peut venir de tous ces tourbillons imaginaires démontrés si faux ? Elle agit sur tous les corps à proportion de leurs masses, et non de leurs surfaces ; elle agirait sur le fruit qui vient de tomber de cet arbre, fût-il élevé de trois mille toises, fût-il élevé de dix mille. Si cela est, cette force doit agir de l’endroit où est le globe de la lune jusqu’au centre de la terre ; s’il est ainsi, ce pouvoir, quel qu’il soit, peut donc être le même que celui qui fait tendre les planètes vers le soleil, et que celui qui fait graviter les satellites de Jupiter sur Jupiter. Or il est démontré, par toutes les inductions tirées des lois de Kepler, que toutes ces planètes secondaires pèsent vers le centre de leurs orbites, d’autant plus qu’elles en sont plus près, et d’autant moins qu’elles en sont plus éloignées, c’est-à-dire réciproquement selon le carré de leurs distances.

Un corps placé où est la lune, qui circule autour de la terre, et un corps placé près de la terre, doivent donc tous deux peser sur la terre précisément suivant cette loi.

Donc, pour être assuré si c’est la même cause qui retient les planètes dans leurs orbites et qui fait tomber ici les corps graves, il ne faut plus que des mesures, il ne faut plus qu’examiner quel espace parcourt un corps grave en tombant sur la terre, en un temps donné, et quel espace parcourrait un corps placé dans la région de la lune en un temps donné.

La lune elle-même est ce corps qui peut être considéré comme tombant réellement de son plus haut point du méridien.

Mais ce n’est pas ici une hypothèse qu’on ajuste comme on peut à un système ; ce n’est point un calcul où l’on doive se contenter de l’à-peu-près. Il faut commencer par connaître au juste la distance de la lune à la terre, et, pour la connaître, il est nécessaire d’avoir la mesure de notre globe.

C’est ainsi que raisonna Newton ; mais il s’en tint, pour la mesure de la terre, à l’estime fautive des pilotes, qui comptaient

  1. Un étranger demandait un jour à Newton comment il avait découvert les lois du système du monde : En y pensant sans cesse, répondit-il. C’est le secret de toutes les grandes découvertes : le génie dans les sciences ne dépend que de l’intensité et de la durée de l’attention dont la tête d’un homme est susceptible. (K.)