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DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE XII.

d’une recherche si délicate et qui semblaient se dérober à la vue humaine, méritent bien d’être suivies de près ; cette partie de la philosophie est un microscope avec lequel notre esprit découvre des grandeurs infiniment petites.

Tous les corps sont transparents, il n’y a qu’à les rendre assez minces pour que les rayons, ne trouvant qu’une lame, qu’une feuille à traverser, passent à travers cette lame. Ainsi, quand l’or en feuilles est exposé à un trou dans une chambre obscure, il renvoie par sa surface des rayons jaunes qui ne peuvent se transmettre à travers sa substance, et il transmet dans la chambre obscure des rayons verts, de sorte que l’or produit alors une couleur verte : nouvelle confirmation que les couleurs dépendent des différentes épaisseurs.

Une preuve encore plus forte, c’est que, dans l’expérience de ce verre convexe plan, touchant en un point ce verre convexe, l’eau n’est pas le seul élément qui, dans des épaisseurs diverses, donne diverses couleurs : l’air fait le même effet ; seulement les anneaux colorés qu’il produit entre les deux verres ont plus de diamètre que ceux de l’eau.

Il y a donc une proportion secrète établie par la nature entre la force des parties constituantes de tous les corps et les rayons primitifs qui colorent les corps ; les lames les plus minces donneront les couleurs les plus faibles ; et pour donner le noir, il faudra justement la même épaisseur, ou plutôt la même ténuité, la même mincité, qu’en a la petite partie supérieure de la boule de savon, dans laquelle on apercevait un petit point noir, ou bien la même ténuité qu’en a le point de contact du verre convexe et du verre plat, lequel contact produit aussi une tache noire.

Mais, encore une fois, qu’on ne croie pas que les corps renvoient la lumière par leurs parties solides, sur ce que les couleurs dépendent de l’épaisseur des parties. Il y a un pouvoir attaché à cette épaisseur, un pouvoir qui agit auprès de la surface ; mais ce n’est point du tout la surface solide qui repousse, qui réfléchit. Cette vérité sera encore plus visiblement démontrée dans le chapitre suivant, qu’elle n’a été prouvée jusqu’ici. Il me semble que le lecteur doit être venu au point où rien ne doit plus le surprendre ; mais ce qu’il vient de voir mène encore plus loin qu’on ne pense, et tant de singularités ne sont, pour ainsi dire, que les frontières d’un nouveau monde.