Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/505

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
487
DE LA RÉFRANGIBILITÉ.

nos yeux, le préjugé a subsisté encore au point que, dans plusieurs journaux et dans plusieurs livres faits depuis l’année 1730, on nie hardiment ces mêmes expériences, que cependant on fait dans toute l’Europe. C’est ainsi qu’après la découverte de la circulation du sang on soutenait encore des thèses contre cette vérité, et qu’on voulait même rendre ridicules ceux qui expliquaient la découverte nouvelle, en les appelant circulateurs.

Enfin, quand on a été obligé décéder à l’évidence, on ne s’est pas rendu encore : on a vu le fait, et on a chicané sur l’expression ; on s’est révolté contre le terme de réfrangibilité, aussi bien que contre celui d’attraction, de gravitation. Eh ! qu’importe le terme, pourvu qu’il indique une vérité ? Quand Christophe Colomb découvrit l’île Hispaniola, ne pouvait-il pas lui imposer le nom qu’il voulait ? Et n’appartient-il pas aux inventeurs de nommer ce qu’ils créent, ou ce qu’ils découvrent ? On s’est récrié, on a écrit contre des mots que Newton emploie avec la précaution la plus sage pour prévenir des erreurs.

Il appelle ces rayons rouges, jaunes, etc., des rayons rubrifiques, jaunifiques, c’est-à-dire excitant la sensation de rouge, de jaune. Il voulait par là fermer la bouche à quiconque aurait l’ignorance ou la mauvaise foi de lui imputer qu’il croyait, comme Aristote, que les couleurs sont dans les choses mêmes, dans ces rayons jaunes et rouges, et non dans notre âme. Il avait raison de craindre cette accusation. J’ai trouvé des hommes, d’ailleurs respectables, qui m’ont assuré que Newton était péripatéticien, qu’il pensait que les rayons sont colorés en effet eux-mêmes, comme on pensait autrefois que le feu était chaud ; mais ces mêmes critiques m’ont assuré aussi que Newton était athée. Il est vrai qu’ils n’avaient pas lu son livre, mais ils en avaient entendu parler à des gens qui avaient écrit contre ses expériences sans les avoir vues.

Ce qu’on écrivit d’abord de plus doux contre Newton, c’est que son système est une hypothèse ; mais qu’est-ce qu’une hypothèse ? une supposition. En vérité, peut-on appeler du nom de supposition des faits tant de fois démontrés ? Est-ce parce qu’on est né en France qu’on rougit de recevoir la vérité des mains d’un Anglais ? Ce sentiment serait bien indigne d’un philosophe. Il n’y a, pour quiconque pense, ni Français, ni Anglais : celui qui nous instruit est notre compatriote.

La réfrangibilité et la réflexion dépendent évidemment de la même cause. Cette réfrangibilité que nous venons de voir, étant attachée à la réfraction, doit avoir sa source dans le même prin-