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DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE VIII.

pée de la longue étendue des terres et des nuages à notre horizon, se représente le même astre plus grand au bout de ces terres et de ces nuées que lorsque, étant parvenu à son plus haut point, il est vu sans aucune interposition.

Les plus simples expériences démentent le système de Malebranche. J’eus, il y a quelques années, la curiosité d’examiner de suite ce phénomène ; je fis faire des tuyaux de carton de sept à huit pieds de long, d’un demi-pied de diamètre ; je fis regarder le soleil à l’horizon par plusieurs enfants dont l’imagination n’était point du tout accoutumée à juger de la grandeur de l’astre par l’étendue qui paraît entre l’astre et les yeux. Ils ne voyaient pas même ni le terrain ni les nuages. Le tube ne leur laissait que la vue du soleil, et tous le virent comme moi beaucoup plus grand qu’à midi. Cette expérience et plusieurs autres me déterminaient à imaginer une autre cause ; et j’avais déjà le malheur de faire un système, lorsque la solution mathématique de ce problème, par M. Smith, me tomba entre les mains, et m’épargna les erreurs d’une hypothèse. Voici cette explication qui mérite d’être étudiée.

Il faut d’abord établir que, suivant les règles de l’optique, le ciel nous doit paraître une voûte surbaissée. En voici une preuve familière.

Notre vue s’étend distinctement jusqu’au point où les objets font dans notre œil un angle de la huit-millième partie d’un pouce au moins, selon les observations de Hooke. Un homme O P (figure 20) haut de 5 pieds regarde l’objet A B aussi haut de 5 pieds, et distant de 25,000 pieds : il le voit sous l’angle A B ; mais cet angle A B n’étant pas dans l’œil de la huit-millième partie d’un pouce, il ne le distingue pas. Mais s’il regarde l’objet C, l’angle est encore plus petit ; il le voit comme si cet objet était en A D ; ainsi tout ce qui est derrière C devient encore moins distinct ; les maisons, les nuages, qui seront derrière C, doivent paraître raser l’horizon vers G ; tous les nuages s’abaissent donc pour nous à l’horizon à la distance de 25,000 pieds, c’est-à-dire à environ une lieue de 3,000 pas et deux tiers, et ils s’abaissent par degrés : par conséquent tous les nuages qui s’élèvent en G (figure 21), à environ trois quarts de lieue de hauteur, doivent nous paraître raser notre horizon ; ainsi, au lieu de voir les nuages G aussi hauts que le nuage N, nous voyons les nuages G toucher la terre, et le nuage N élevé environ à trois quarts de lieue au-dessus de notre tête ; nous ne devons donc voir le ciel ni comme un plafond, ni comme un cintre circulaire, mais comme une voûte surbaissée,