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DE M. PASCAL.

lui quelque grand principe de grandeur, et en même temps quelque grand principe de misère : car il faut que la véritable religion connaisse à fond notre nature ; c’est-à-dire qu’elle connaisse tout ce qu’elle a de grand et tout ce qu’elle a de misérable, et la raison de l’un et de l’autre ; il faut encore qu’elle nous rende raison des étonnantes contrariés qui s’y rencontrent[1].


Cette manière de raisonner paraît fausse et dangereuse : car la fable de Prométhée et de Pandore, les androgynes de Platon, les dogmes des anciens Égyptiens, et ceux de Zoroastre, rendaient aussi bien raison de ces contrariétés apparentes. La religion chrétienne n’en demeurera pas moins vraie quand même on n’en tirerait pas ces conclusions ingénieuses, qui ne peuvent servir qu’à faire briller l’esprit. Il est nécessaire, pour qu’une religion soit vraie, qu’elle soit révélée, et point du tout qu’elle rende raison de ces contrariétés prétendues ; elle n’est pas plus faite pour vous enseigner la métaphysique que l’astronomie.


II. Qu’on examine sur cela toutes les religions du monde, et qu’on voie s’il y en a une autre que la chrétienne qui y satisfasse. Sera-ce celle qu’enseignaient les philosophes qui nous proposent pour tout bien un bien qui est en nous ? Est-ce là le vrai bien[2] ?


Les philosophes n’ont point enseigné de religion ; ce n’est pas leur philosophie qu’il s’agit de combattre. Jamais philosophe ne s’est dit inspiré de Dieu, car dès lors il eût cessé d’être philosophe, et il eût fait le prophète. Il ne s’agit pas de savoir si Jésus-Christ doit l’emporter sur Aristote ; il s’agit de prouver que la religion de Jésus-Christ est la véritable, et que celles de Mahomet, le Zoroastre, de Confucius, d’Hermès, et toutes les autres, sont fausses. Il n’est pas vrai que les philosophes nous aient proposé pour tout bien un bien qui est en nous. Lisez Platon, Marc-Aurèle, Épictète : ils veulent qu’on aspire à mériter d’être rejoint à la Divinité dont nous sommes émanés.


III. Et cependant sans ce mystère[3], le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes. Le nœud de notre condition prend ses retours et ses plis dans cet abîme, de sorte que l’homme est plus inconcevable sans ce mystère que ce mystère n’est inconcevable à l’homme.


  1. C’est bien là la pensée de Pascal, mais le texte n’est pas exact. On a même abrégé. Voyez l’édition Faugère, tome II, page 152.
  2. Pascal a écrit : « Sera-ce les philosophes qui nous proposent pour tout bien ces biens qui sont en nous ? Est-ce là le vrai bien ? »
  3. La transmission du péché originel.