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NATURE DE LA LUMIÈRE.

point de rencontre un combat prodigieux ? N’est-il pas vrai que l’effet en serait sensible à quelque distance de la pointe des cônes ? Cependant à un pouce de cette pointe vous ne sentez pas la moindre chaleur : imaginez après cela de petits tourbillons.

Qu’est-ce donc enfin que la matière de la lumière ? C’est le feu lui-même, lequel brûle à une petite distance lorsque ses parties sont moins ténues, ou plus rapides, ou plus réunies, et qui éclaire doucement nos yeux quand il agit de plus loin, quand ses particules sont plus fines et moins rapides, et moins réunies.

Ainsi une bougie allumée brûlerait l’œil qui ne serait qu’à quelques lignes d’elle, et éclaire l’œil qui en est à quelques pouces ; ainsi les rayons du soleil, épars dans l’espace de l’air, illuminent les objets, et, réunis dans un verre ardent, fondent le plomb et l’or.

Si on demande ce que c’est que le feu, je répondrai que c’est un élément que je ne connais que par ses effets, et je dirai, ici comme partout ailleurs, que l’homme n’est point fait pour connaître la nature intime des choses ; qu’il peut seulement calculer, mesurer, peser, et expérimenter.

Le feu n’éclaire pas toujours, et la lumière ne brille pas toujours ; mais il n’y a que l’élément du feu qui puisse éclairer et brûler. Le feu qui n’est pas développé, soit dans une barre de fer, soit dans du bois, ne peut envoyer de rayons de la surface de ce bois ni de ce fer, par conséquent il ne peut être lumineux ; il ne le devient que quand cette surface est embrasée.

Les rayons de la pleine lune ne donnent aucune chaleur sensible au foyer d’un verre ardent, quoiqu’ils donnent une assez grande lumière[1]. La raison en est palpable : les degrés de chaleur sont toujours en proportion de la densité des rayons. Or il est prouvé que le soleil, à pareille hauteur, darde quatre-vingt-dix mille fois plus de rayons que la pleine lune ne nous en réfléchit sur l’horizon.

Ainsi, pour que les rayons de la lune, au foyer d’un verre ardent, pussent donner seulement autant de chaleur que les rayons du soleil en donneraient sur un terrain de pareille grandeur que ce verre, il faudrait qu’il y eût à ce foyer quatre-vingt-dix mille fois plus de rayons qu’il n’y en a.

Ceux qui ont voulu faire deux êtres de la lumière et du feu se sont donc trompés en se fondant sur ce que tout feu n’éclaire

  1. On a trouvé quelque peu de chaleur rayonnée. Du temps de Voltaire les appareils thermoscopiques étaient trop peu sensibles pour l’indiquer. (D.)