Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/448

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
430
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE VII.

vivons quelques jours comme lui, et notre corps se dissout ensuite comme le sien. Parmi les reptiles, les uns sont ovipares, les autres vivipares ; chez les poissons, la femelle est féconde sans les approches du mâle, qui ne fait que passer sur les œufs déposés pour les faire éclore. Les pucerons, les huîtres, etc., produisent leurs semblables, eux seuls, et sans le mélange de deux sexes. Les polypes ont en eux de quoi faire renaître leurs têtes quand on les leur a coupées. Il revient des pattes aux écrevisses. Les végétaux, les minéraux, se forment tout différemment. Chaque genre d’être est un monde à part ; et bien loin qu’une matière aveugle produise tout par le simple mouvement, il est bien vraisemblable que Dieu a formé une infinité d’êtres avec des moyens infinis, parce qu’il est infini lui-même.

Voilà d’abord ce que je soupçonne en considérant la nature. Mais si j’entre dans le détail, si je fais des expériences de chaque chose, voici ce qui en résulte.

Je vois des mixtes tels que les végétaux et les animaux que je décompose, et dont je tire quelques éléments grossiers, l’esprit, le flegme, le soufre, le sel, la tête morte. Je vois d’autres corps, tels que des métaux, des minéraux, dont je ne peux jamais tirer autre chose que leurs propres parties plus atténuées. Jamais de l’or pur n’a pu avoir que de l’or ; jamais avec du mercure pur on n’a pu avoir que du mercure. Du sable, de la boue simple, de l’eau simple, n’ont pu être changés en aucune autre espèce d’êtres.

Que puis-je en conclure, sinon que les végétaux et les animaux sont composés de ces autres êtres primitifs qui ne se décomposent jamais ? Ces êtres primitifs inaltérables sont les éléments des corps : l’homme et le moucheron sont donc un composé des parties minérales de fange, de sable, de feu, d’air, d’eau, de soufre, de sel[1] ; et toutes ces parties primitives, indécomposables à jamais, sont des éléments dont chacun a sa nature propre et invariable.

Pour oser assurer le contraire, il faudrait avoir vu des transmutations ; mais quelqu’un en a-t-il jamais découvert par le secours de la chimie ? La pierre philosophale n’est-elle pas regardée comme impossible par tous les esprits sages ? Est-il plus possible, dans l’état présent de ce monde, que du sel soit changé en soufre, de l’eau en terre, de l’air en feu, que de faire de l’or avec de la poudre de projection ?

  1. M. de Voltaire emploie ici le langage des chimistes du temps où il a écrit. (K.)