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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE VII.

chimiste qui travaillait avec lui crut que l’eau s’était enfin changée en terre : le fait était faux, comme l’a depuis prouvé Boerhaave, physicien aussi exact que médecin hahile ; l’eau s’était évaporée, et la terre qui avait paru en sa place venait d’ailleurs[1].

À quel point faut-il se défier de l’expérience, puisque celle-ci trompa Boyle et Newton ? Ces grands philosophes n’ont pas fait difficulté de croire que puisque les parties primitives de l’eau se changeaient en parties primitives de terre, les éléments des choses ne sont que la même matière différemment arrangée.

Si une fausse expérience n’avait pas conduit Newton à cette conclusion, il est à croire qu’il eût raisonné tout autrement.

Je supplie qu’on lise avec attention ce qui suit.

La seule manière qui appartienne à l’homme de raisonner sur les objets, c’est l’analyse. Partir tout d’un coup des premiers principes n’appartient qu’à Dieu ; et si l’on peut sans blasphème comparer Dieu à un architecte, et l’univers à un édifice, quel est le voyageur qui, en voyant une partie de l’extérieur d’un bâtiment, osera tout d’un coup imaginer tout l’artifice du dedans ? Voilà pourtant ce qu’ont osé faire presque tous les philosophes avec mille fois plus de témérité.

Examinons donc cet édifice autant que nous le pouvons : que trouvons-nous autour de nous ? des animaux, des végétaux, des minéraux, sous le genre desquels je comprends tous les sels, soufres, etc., du limon, du sable, de l’eau, du feu, de l’air, et rien autre chose, du moins jusqu’à présent.

Avant que d’examiner seulement si ces corps sont des mixtes ou non, je me demande à moi-même s’il est possible qu’une matière prétendue uniforme, qui n’est en elle-même rien de tout ce qui est, produise cependant tout ce qui est.

1° Qu’est-ce qu’une matière première qui n’est rien des choses de ce monde, et qui les produit toutes ? C’est une chose dont je ne puis avoir aucune idée, et que par conséquent je ne dois point admettre. Il est bien vrai que je ne puis me former en général l’idée d’une substance étendue impénétrable et figurable, sans dé-

  1. Cette conversion de l’eau en terre est encore une question, quoique l’opinion de Boerhaave soit la plus vraisemblable. Au reste, ce ne serait pas une vraie transmutation : l’eau est une espèce de terre fusible à très-petit degré de chaleur, et cette terre pourrait perdre cette propriété par la digestion dans les vaisseaux clos, soit en se combinant avec le feu libre qui passe à travers les vaisseaux, soit en vertu d’une nouvelle combinaison de ses propres éléments. (K.) — Si on excepte les eaux de pluie recueillies avec soin et certaines eaux des montagnes granitiques, toutes les eaux de la nature tiennent en dissolution des matières solides qui peuvent se déposer. Cette terre de Boyle n’est qu’un dépôt. (D.)