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RELIGION NATURELLE.

dans tout l’univers : Fais ce que tu voudrais qu’on te fît ; or le barbare qui tue son père pour le sauver de son ennemi, et qui l’ensevelit dans son sein, de peur qu’il n’ait son ennemi pour tombeau, souhaite que son fils le traite de même en cas pareil. Cette loi de traiter son prochain comme soi-même découle naturellement des notions les plus grossières, et se fait entendre tôt ou tard au cœur de tous les hommes : car, ayant tous la même raison, il faut bien que tôt ou tard les fruits de cet arbre se ressemblent ; et ils se ressemblent en effet, en ce que dans toute société on appelle du nom de vertu ce qu’on croit utile à la société.

Qu’on me trouve un pays, une compagnie de dix personnes sur la terre, où l’on n’estime pas ce qui sera utile au bien commun : et alors je conviendrai qu’il n’y a point de règle naturelle. Cette règle varie à l’infini sans doute ; mais qu’en conclure, sinon qu’elle existe ? La matière reçoit partout des formes différentes, mais elle retient partout sa nature.

On a beau nous dire, par exemple, qu’à Lacédémone le larcin était ordonné : ce n’est là qu’un abus des mots. La même chose que nous appelons larcin n’était point commandée à Lacédémone ; mais dans une ville où tout était en commun, la permission qu’on donnait de prendre habilement ce que les particuliers s’appropriaient contre la loi était une manière de punir l’esprit de propriété, défendu chez ces peuples. Le tien et le mien était un crime, dont ce que nous appelons larcin était la punition ; et chez eux et chez nous il y avait de la règle pour laquelle Dieu nous a faits, comme il a fait les fourmis pour vivre ensemble.

Newton pensait donc que cette disposition que nous avons tous à vivre en société est le fondement de la loi naturelle, que le christianisme perfectionne.

Il y a surtout dans l’homme une disposition à la compassion aussi généralement répandue que nos autres instincts : Newton avait cultivé ce sentiment d’humanité, et il l’étendait jusqu’aux animaux ; il était fortement convaincu, avec Locke, que Dieu a donné aux animaux (qui semblent n’être que matière) une mesure d’idées, et les mêmes sentiments qu’à nous. Il ne pouvait penser que Dieu, qui ne fait rien en vain, eût donné aux bêtes des organes de sentiment afin qu’elles n’eussent point de sentiment.

Il trouvait une contradiction bien affreuse à croire que les bêtes sentent, et à les faire souffrir. Sa morale s’accordait en ce point avec sa philosophie ; il ne cédait qu’avec répugnance à l’usage barbare de nous nourrir du sang et de la chair des êtres