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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV.

Voilà pourquoi le sage Locke n’ose pas prononcer le nom de liberté ; une volonté libre ne lui paraît qu’une chimère. Il ne connaît d’autre liberté que la puissance de faire ce qu’on veut. Le goutteux n’a pas la liberté de marcher, le prisonnier n’a pas celle de sortir : l’un est libre quand il est guéri ; l’autre, quand on lui ouvre la porte.

Pour mettre dans un plus grand jour ces horribles difficultés, je suppose que Cicéron veut prouver à Catilina qu’il ne doit pas conspirer contre sa patrie. Catilina lui dit qu’il n’en est pas le maître ; que ses derniers entretiens avec Céthégus lui ont imprimé dans la tête l’idée de la conspiration ; que cette idée lui plaît plus qu’une autre, et qu’on ne peut vouloir qu’en conséquence de son dernier jugement. Mais vous pourriez, dirait Cicéron, prendre avec moi d’autres idées, appliquer votre esprit à m’écouter et à voir qu’il faut être bon citoyen. J’ai beau faire, répond Catilina ; vos idées me révoltent, et l’envie de vous assassiner l’emporte. Je plains votre frénésie, lui dit Cicéron ; tâchez de prendre de mes remèdes. Si je suis frénétique, reprend Catilina, je ne suis pas le maître de tâcher de guérir. Mais, lui dit le consul, les hommes ont un fonds de raison qu’ils peuvent consulter, et qui peut remédier à ce dérangement d’organes qui fait de vous un pervers, surtout quand ce dérangement n’est pas trop fort. Indiquez-moi, répond Catilina, le point où ce dérangement peut céder au remède. Pour moi, j’avoue que depuis le premier moment où j’ai conspiré, toutes mes réflexions m’ont porté à la conjuration. Quand avez-vous commencé à prendre cette funeste résolution ? lui demande le consul. Quand j’eus perdu mon argent au jeu. Eh bien ! ne pouviez-vous pas vous empêcher de jouer ? Non ; car cette idée de jeu l’emporta dans moi ce jour-là sur toutes les autres idées ; et si je n’avais pas joué, j’aurais dérangé l’ordre de l’univers, qui portait que Quarsilla me gagnerait quatre cent mille sesterces, qu’elle en achèterait une maison et un amant, que de cet amant il naîtrait un fils, que Céthégus et Lentulus viendraient chez moi, et que nous conspirerions contre la république. Le destin m’a fait un loup, et il vous a fait un chien de berger ; le destin décidera qui des deux doit égorger l’autre. À cela Cicéron n’aurait répondu que par une Catilinaire ; en effet, il faut convenir qu’on ne peut guère répondre que par une éloquence vague aux objections contre la liberté : triste sujet sur lequel le plus sage craint même d’oser penser.

Une seule réflexion console : c’est que, quelque système qu’on