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LIBERTÉ DE L'HOMME.

n’entend pas ici par liberté la simple puissance d’appliquer sa pensée à tel ou tel objet, et de commencer le mouvement ; on n’entend pas seulement la faculté de vouloir, mais celle de vouloir très-librement avec une volonté pleine et efficace, et de vouloir même quelquefois sans autre raison que sa volonté. Il n’y a aucun homme sur la terre qui ne sente quelquefois qu’il possède cette liberté. Plusieurs philosophes pensent d’une manière opposée ; ils croient que toutes nos actions sont nécessitées, et que nous n’avons d’autre liberté que celle de porter quelquefois de bon gré les fers auxquels la fatalité nous attache.

De tous les philosophes qui ont écrit hardiment contre la liberté, celui qui sans contredit l’a fait avec plus de méthode, de force et de clarté, c’est Collins, magistrat de Londres, auteur du livre De la Liberté de penser, et de plusieurs autres ouvrages aussi hardis que philosophiques.

Clarke, qui était entièrement dans le sentiment de Newton sur la liberté, et qui d’ailleurs en soutenait les droits autant en théologien d’une secte singulière qu’en philosophe, répondit vivement à Collins, et mêla tant d’aigreur à ses raisons qu’il fit croire qu’au moins il sentait toute la force de son ennemi. Il lui reproche de confondre toutes les idées, parce que Collins appelle l’homme un agent nécessaire. Il dit qu’en ce cas l’homme n’est point agent ; mais qui ne voit que c’est là une vraie chicane ? Collins appelle agent nécessaire tout ce qui produit des effets nécessaires. Qu’on l’appelle agent ou patient, qu’importe ? le point est de savoir s’il est déterminé nécessairement.

Il semble que si l’on peut trouver un seul cas où l’homme soit véritablement libre d’une liberté d’indifférence, cela seul suffit pour décider la question. Or quel cas prendrons-nous, sinon celui où l’on voudra éprouver notre liberté ? Par exemple, on me propose de me tourner à droite ou à gauche, ou de faire telle autre action, à laquelle aucun plaisir ne m’entraîne, et dont aucun dégoût ne me détourne. Je choisis alors, et je ne suis pas le dictamen de mon entendement, qui me représente le meilleur : car il n’y a ici ni meilleur, ni pire. Que fais-je donc ? J’exerce le droit que m’a donné le Créateur de vouloir et d’agir en certains cas sans autre raison que ma volonté même. J’ai le droit et le pouvoir de commencer le mouvement, et de le commencer du côté que je veux. Si on ne peut assigner en ce cas d’autre cause de ma volonté, pourquoi la chercher ailleurs que dans ma volonté même ? Il paraît donc probable que nous avons la liberté d’indifférence dans les choses indifférentes. Car qui pourra dire