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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II.

c’était à Épicure à croire, je ne dis pas des dieux inutiles, mais un Dieu créateur et gouverneur ; et c’était à Descartes à le nier. Pourquoi donc, au contraire, Descartes a-t-il toujours parlé de l’existence d’un Être créateur et conservateur, et Épicure l’a-t-il rejeté ? C’est que les hommes, dans leurs sentiments comme dans leur conduite, suivent rarement leurs principes, et que leurs systèmes, ainsi que leurs vies, sont des contradictions.

L’espace est une suite nécessaire de l’existence de Dieu ; Dieu n’est, à proprement parler, ni dans l’espace, ni dans un lieu ; mais Dieu, étant nécessairement partout, constitue par cela seul l’espace immense et le lieu : de même la durée, la permanence éternelle est une suite indispensable de l’existence de Dieu. Il n’est ni dans la durée infinie, ni dans un temps ; mais, existant éternellement, il constitue par là l’éternité et le temps.

L’espace immense étendu, inséparable, peut être conçu en plusieurs portions : par exemple, l’espace où est Saturne n’est pas l’espace où est Jupiter ; mais on ne peut séparer ces parties conçues ; on ne peut mettre l’une à la place d’une autre, comme on peut mettre un corps à la place d’un autre.

De même la durée infinie, inséparable et sans parties, peut être conçue en plusieurs portions, sans que jamais on puisse concevoir une portion de durée mise à la place d’une autre. Les êtres existent dans une certaine portion de la durée, qu’on nomme temps, et peuvent exister dans tout autre temps ; mais une partie conçue de la durée, un temps quelconque ne peut être ailleurs qu’il est ; le passé ne peut être avenir.

L’espace et la durée sont deux attributs nécessaires, immuables, de l’Être éternel et immense.

Dieu seul peut connaître tout l’espace. Dieu seul peut connaître toute la durée. Nous mesurons quelques parties improprement dites de l’espace par le moyen des corps étendus que nous touchons ; nous mesurons des parties improprement dites de la durée par le moyen des mouvements que nous apercevons.

On n’entre point ici dans le détail des preuves physiques réservées pour d’autres chapitres ; il suffit de remarquer qu’en tout ce qui regarde l’espace, la durée, les bornes du monde, Newton suivait les anciennes opinions de Démocrite, d’Épicure, et d’une foule de philosophes rectifiés par notre célèbre Gassendi. Newton a dit plusieurs fois à quelques Français qui vivent encore qu’il regardait Gassendi comme un esprit très-juste et très-sage, et qu’il faisait gloire d’être entièrement de son avis dans toutes les choses dont on vient de parler.