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ÉPITRE DÉDICATOIRE
À MADAME LA MARQUISE
DU CHÂTELET[1]

Madame,

Lorsque je mis pour la première fois votre nom respectable à la tête de ces Éléments de philosophie, je m’instruisais avec vous.

  1. Cette Épître dédicatoire, sans date dans l’édition de 1748, est, dans l’édition de 1756 et dans toutes celles qui l’ont suivie jusqu’à ce jour, donnée comme venant de l’édition de 1745. Dans les éditions de 1738, il y avait : 1° une épître en vers à Mme  du Châtelet, qui depuis longtemps a été placée parmi les Poésies (voyez tome X, page 299) ; 2° un morceau en prose, ou lettre d’envoi à la même dame, et que voici :

    À MADAME LA MARQUISE DU CH*****.
    Avant-propos.

    « Madame,

    Ce n’est point ici une marquise, ni une philosophie imaginaire. L’étude solide que vous avez faite de plusieurs vérités, et le fruit d’un travail respectable, sont ce que j’offre au public pour votre gloire, pour celle de votre sexe, et pour l’utilité de quiconque voudra cultiver sa raison et jouir sans peine de vos recherches. Toutes les mains ne savent pas couvrir de fleurs les épines des sciences : je dois me borner à tâcher de bien concevoir quelques vérités, et à les faire voir avec ordre et clarté ; ce serait à vous à leur prêter des ornements.

    « Ce nom de Nouvelle Philosophie ne serait que le titre d’un roman nouveau s’il n’annonçait que les conjectures d’un moderne opposées aux fantaisies des anciens. Une philosophie qui ne serait établie que sur des explications hasardées ne mériterait pas, en rigueur, le moindre examen : car il y a un nombre innombrable de manières d’arriver à l’erreur, et il n’y a qu’une seule route vers la vérité ; il y a donc l’infini contre un à parier qu’une philosophie qui ne s’appuiera que sur des hypothèses ne dira que des chimères. Voilà pourquoi tous les anciens qui ont raisonné sur la physique, sans avoir le flambeau de l’expérience, n’ont été que des aveugles qui expliquaient la nature des couleurs à d’autres aveugles.

    « Cet écrit ne sera point un cours de physique complet. S’il était tel, il serait immense ; une seule partie de la physique occupe la vie de plusieurs hommes, et les laisse souvent mourir dans l’incertitude.

    « Vous vous bornez dans cette étude, dont je rends compte, à vous faire seulement une idée nette de ces ressorts si déliés et si puissants, de ces lois primitives de la nature que Newton a découvertes ; à examiner jusqu’où l’on a été avant lui, d’où il est parti, et où il s’est arrêté. Nous commencerons, comme lui, par la lumière : c’est, de tous les corps qui se font sentir à nous, le plus délié, le plus approchant de l’infini en petit ; c’est pourtant celui que nous connaissons davantage. On l’a suivi dans ses mouvements, dans ses effets ; on est parvenu à l’anatomiser, à le séparer en toutes ses parties possibles. C’est celui de tous les corps dont la nature intime est le plus développée ; c’est celui qui nous approche le plus près des premiers ressorts de la nature. »