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AVERTISSEMENT.

Leibnitz fut encore un publiciste profond, un savant jurisconsulte, un érudit du premier ordre. Il embrassa tout dans les sciences historiques, politiques, comme dans la métaphysique et dans les sciences naturelles ; partout il porte le même esprit, s’attachant à chercher des vérités générales, soumettant à un ordre systématique les objets les plus dépendants de l’opinion, et qui semblent s’y refuser le plus.

Malebranche ne fut qu’un disciple de Descartes ; supérieur à son maître lorsqu’il explique les erreurs des sens et de l’imagination, modèle plus parfait d’un style noble, simple, animé par le seul amour de la vérité, sans d’autres ornements que la grandeur ou la finesse des idées. Ce style, la seule éloquence qui convienne aux sciences, à des ouvrages faits pour éclairer les hommes, et non pour amuser la multitude, était celui de Bacon, de Descartes, de Leibnitz. Mais Malebranche, écrivant dans sa langue naturelle, et lorsque la langue et le goût étaient perfectionnés, peut seul, parmi les écrivains du siècle dernier, être regardé comme un modèle ; c’est là aujourd’hui presque tout son mérite, et la France, plus éclairée, ne le place plus à côté de Descartes, de Leibnitz, et de Newton.

Après ces grands hommes on admirait Kepler, qui découvrit les lois du mouvement des planètes ; Galilée, qui calcula les lois de la chute des corps et celles de leur mouvement dans la parabole, perfectionna les lunettes[1], découvrit les satellites de Jupiter et les phases de Vénus, établit le véritable système des corps célestes sur des fondements inébranlables, et fut persécuté par des théologiens ignorants, et par les jésuites, qui ne lui pardonnaient pas d’être un meilleur astronome que les professeurs du grand Gesù ; Huygens enfin, à qui l’on doit la théorie des forces centrales, qui conduisit à la méthode de calculer le mouvement dans les courbes, la découverte des centres d’oscillation, la théorie de l’art de mesurer le temps, la découverte de l’anneau de Saturne, et celle des lois du choc des corps. Il fut l’homme de son siècle qui, par la force et le genre de son génie, approcha le plus près de Newton, dont il a été le précurseur.

Voltaire rend ici justice à tous ces hommes illustres ; il respecte le génie de Descartes et de Leibnitz, le bien que Descartes a fait aux hommes, le service qu’il a rendu en délivrant l’esprit humain du joug de l’autorité, comme Newton et Locke le guérirent de la manie des systèmes ; mais il se permit d’attaquer Descartes et Leibnitz, et il y avait du courage dans un temps où la France était cartésienne, où les idées de Leibnitz régnaient en Allemagne et dans le Nord.

  1. La lunette de théâtre est de son invention. Il la trouva en cherchant à reproduire la lunette astronomique, dont il avait appris la découverte récente et sans autre indication. (D.)