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LE PRÉSERVATIF.

Cet emphatique et burlesque étalage
D’un faux sublime, enté sur l’assemblage
De ces grands mots, clinquant de l’oraison,
Enflés de vent, et vides de raison.

(J.-B. Rousseau, Épître au P. Brumoy.)

Nous n’avons guère de plus mauvais vers dans notre langue : figurez-vous ce que c’est qu’un « clinquant enflé de vent, étalage burlesque enté sur un assemblage ». Nous dirons en passant que ce style marotique, qui rassemble les expressions de tous les genres, est monstrueux quand il s’agit de parler sérieusement.

Ce jargon dans un conte est encor supportable ;
Mais le vrai veut un air, un ton plus respectable :
Le sage Despréaux laisse aux esprits mal faits
L’art de moraliser du ton de Rabelais.

Ces vers d’un de mes amis[1] sont un peu plus raisonnables, et doivent servir à faire voir le misérable abus du style marotique dans des ouvrages qui demandent une éloquence véritable.

XVIII.

Nombre 136. C’est avec le même goût, la même intelligence, qu’il blâme Horace d’une chose qu’Horace n’a jamais pensée.

« Horace a eu tort, dit-il, de s’exprimer ainsi, en parlant du siècle d’Auguste :

Venimus ad summum fortunæ ; pingimus atque
Psallimus, et luctamur Achivis doctius unctis
[2] ? »

Le sens de ces vers est : « Nous sommes donc à ce compte supérieurs en tout ; la peinture, la musique, la lutte, sont donc plus perfectionnées chez nous que chez les Grecs : qui osera le dire ? » Tous les bons traducteurs d’Horace ont rendu ainsi ces vers, et il est impossible qu’ils aient un autre sens.

Horace n’a point eu tort de dire, comme le prétend le sieur Desfontaines, que les Romains l’emportaient sur les Grecs : car il dit expressément le contraire. Si quelqu’un, par exemple, disait : Ce mauvais critique est un Despréaux, un Pétau, un Varron, ne devrait-on pas voir qu’il parlerait ironiquement ?

  1. Voltaire lui-même (septième Discours sur l’Homme, variantes, voyez tome IX), qui n’avouait pas être l’auteur du Préservatif.
  2. Horace, livre II, épitre i, vers 32-33.