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LE LUXE, LES MONNAIES, ET LES IMPÔTS.

porte de beaucoup pour la profondeur et pour la justesse, et l’ouvrage de M. Dutot en va produire un autre, par l’illustre M. Duverney, lequel probablement vaudra beaucoup mieux que les deux autres, parce qu’il sera fait par un homme d’État[1]. Jamais les belles-lettres n’ont été si liées avec la finance, et c’est encore un des mérites de notre siècle.

On sait que toute mutation de monnaie a été onéreuse au peuple et au roi sous le dernier règne. Mais n’y a-t-il point de cas où une augmentation de monnaie devienne nécessaire ?

Dans un État, par exemple, qui a peu d’argent et peu de commerce (et c’est ainsi que la France a été longtemps), un seigneur a cent marcs de rente. Il emprunte, pour marier ses filles ou pour aller à la guerre, mille marcs, dont il paye cinquante marcs annuellement. Voilà sa maison réduite à la dépense annuelle de cinquante marcs, pour fournir à tous ses besoins. Cependant la nation se rend plus industrieuse, elle fait un commerce, l’argent devient plus abondant. Alors, comme il arrive toujours, la main-d’œuvre devient plus chère ; les dépenses du luxe convenable à la dignité de cette maison doublent, triplent, quadruplent, pendant que le blé, qui fait la ressource de la terre, n’augmente pas dans cette proportion, parce qu’on ne mange pas plus de pain qu’auparavant, mais on consomme plus en magnificence. Ce qu’on achetait cinquante marcs en coûtera deux cents, et le possesseur de la terre, obligé de payer cinquante marcs de rente, sera réduit à vendre sa terre. Ce que je dis du seigneur, je le dis du magistrat, de l’homme de lettres, etc., comme du laboureur, qui achète plus cher sa vaisselle d’étain, sa tasse d’argent, son lit, son linge. Enfin le chef de la nation est dans ce cas, lorsqu’il n’a qu’un certain fonds réglé, et certains droits qu’il n’ose trop augmenter de peur d’exciter des murmures. Dans cette situation pressante, il n’y a certainement qu’un parti à prendre, c’est de soulager le débiteur. On peut le favoriser en abolissant les dettes : c’est ainsi qu’on en usait chez les Égyptiens, et chez plusieurs peuples de l’Orient, au bout de cinquante ou de trente années. Cette coutume n’était point si dure qu’on le pense, car les créanciers avaient pris leurs mesures suivant cette

  1. Ce livre de M. Duverney n’a jamais paru. M. de Voltaire parle ici suivant l’opinion publique du temps où il écrivait. (K.) — Pâris-Duverney n’a pas, il est vrai, publié sous son nom l’ouvrage dont on parle ici ; mais il est généralement regardé comme l’auteur de l’Examen du livre intitulé Réflexions politiques sur les finances et le commerce. À La Haye, chez les frères Vaillant et Nicolas Prévost, 1740, deux volumes in-12, dont la rédaction toutefois fut confiée à F.-M.-C. Deschamps. (B.)