Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/369

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
351
VIE DE M. J.-B. ROUSSEAU.

seau, et lui donna retraitera Bruxelles au petit hôtel d’Aremberg. Il y vécut assez paisiblement, jusqu’à ce qu’une nouvelle querelle l’en fit chasser.

Cette querelle publique fut contre M. de Voltaire, déjà connu par le seul poëme épique dont la France puisse se vanter ; par plusieurs tragédies d’un goût nouveau, dont la plupart sont applaudies ; par l’Histoire de Charles XII, peut-être mieux écrite qu’aucune histoire française ; par quantité de pièces fugitives, qui sont entre les mains des curieux ; et enfin par la Philosophie de Newton, qu’il nous promet depuis plusieurs années[1]. Je ne saurais dire positivement quel fut le sujet de l’inimitié si publique entre ces deux hommes célèbres. Il y a grande apparence qu’il n’y en a point d’autre que cette malheureuse jalousie, qui brouille toujours les gens qui prétendent aux mêmes honneurs. Ils ont écrit, l’un contre l’autre, des espèces de factums fort sanglants, imprimés dans la Bibliothèque française. Rousseau imprima qu’une des sources de leur querelle venait de ce que son adversaire l’avait beaucoup décrié un jour chez M. le duc d’Aremberg ; M. de Voltaire se plaignit à ce prince de cette accusation : le prince lui répondit que c’était une calomnie, et il fut si fâché d’être compris dans cette imposture par Rousseau qu’il le chassa de chez lui. La preuve de ce fait est une lettre de M. le prince d’Aremberg, rapportée dans la Bibliothèque en l’année 1736[2].

Rousseau, vers ce temps-là, fit imprimer à Paris trois épîtres nouvelles[3] : la première, adressée au P. Brumoy, jésuite, sur la tragédie ; la seconde, à Thalie, sur le genre comique ; la troisième, au sieur Rollin, ancien professeur au collége de Beauvais, auteur d’un livre estimé concernant les études de la jeunesse, et d’une compilation de l’Histoire ancienne dont les premiers tomes ont eu beaucoup de vogue en leur temps.

Rousseau, dans sa première épître, semblait désigner par des traits fort piquants son ennemi, M. de Voltaire. Dans la seconde, il attaquait tous les auteurs comiques, et prétendait que, depuis Molière, nous n’avons rien de bon en fait de comédie. Il se

  1. D’après ces derniers mots, on peut penser que cette Vie de Rousseau est antérieure à 1738, année de la publication des Éléments de la philosophie de Newton. (B.)
  2. Voyez, dans la Correspondance, la lettre de Voltaire aux auteurs de la Bibliothèque française, sous la date du 20 septembre 1736.
  3. Elles virent le jour en 1736, et donnèrent lieu à l’Utile Examen qu’on a vu page 233.