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VIE DE M. J.-B. ROUSSEAU.

Que Pécour, qui fait le ballet,
Ait le fouet au bas de l’échelle[1].

Pécour fut piqué, et rencontra Rousseau dans la rue Cassette ; j’y étais présent, et il n’est pas tout à fait vrai (comme on le dit dans la Bibliothèque française) que Pécour ait outragé Rousseau : il était prêt de le faire, je le retins. Rousseau lui demanda pardon, et lui jura qu’il n’était point l’auteur de cette chanson. Pécour ne le crut pas, et je les séparai. Ce fut alors que je rompis tout commerce avec Rousseau, dont j’aimais beaucoup certains ouvrages, mais dont le caractère me parut trop odieux ; je cessai même d’aller au café, lassé des querelles des gens de lettres, et irrité de l’usage indigne que les hommes font souvent de leur esprit. Danchet répliqua à Rousseau par une chanson assez forte, parodiée encore de l’opéra d’Hésione.

Fils ingrat, cœur perfide,
Esprit infecté,
Ennemi timide.
Ami redouté,
À te masquer habile :
Traduis tour à tour
Pétrone à la ville,
David à la cour ;
Sur nos airs
Fais des vers ;
Que ton fiel se distille
Sur tout l’univers :
Nouveau Théophile,
Sers-toi de son style,
Mais crains ses revers.

Ce que le sieur Danchet disait dans cette chanson s’effectua depuis. Rousseau essuya de plus grandes humiliations que Théophile ; sur quoi on disait : « Qui l’eût cru, que Danchet eût été prophète ? »

Rousseau continua de faire beaucoup de couplets sur l’air ont nous avons parlé. Ils étaient la plupart contre des personnes qui s’assemblaient au café de la veuve Laurent. Il en fit jusqu’à

  1. Ce couplet commençait ainsi :

    Que jamais de son chant glacé
    Colasse ne nous refroidisse,
    Que Campra soit bientôt chassé,
    Qu’il retourne à son bénéfice.