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ESSAI SUR LA NATURE DU FEU

5° Si le mouvement des corps peut produire quelque nouvel être, le mouvement, qui n’est jamais le même deux instants de suite dans la nature, produirait-il toujours un être qui est toujours le même, qui a des propriétés si subtiles et si inaltérables, qui s’étend toujours suivant les mêmes lois, qui éclaire en raison renversée des carrés des distances, qui se plie toujours avec inflexion vers les bords des objets, que l’on peut diviser toujours en sept faisceaux primordiaux dont chacun est le véhicule immuable d’une couleur primitive, etc. ? Il paraît, par tout ce qu’on vient de dire, que le feu est une substance élémentaire.

Newton ne semble être une seule fois du sentiment de Descartes qu’en ce qu’il dit[1] que « la terre peut se changer en feu comme l’eau est changée en terre » ; s’il entend que l’eau et le feu ne paraissent plus à nos yeux sous la forme de feu et d’eau, qu’ils entrent dans la terre, où ils sont emprisonnés et déguisés, ce n’est pas là une transformation véritable, c’est seulement un mélange : et, en ce cas, cette idée de Newton n’est qu’une confirmation du sentiment qu’on expose ici.

Mais, supposé qu’il entende une transformation véritable, on ose dire qu’il aurait corrigé cette idée s’il avait eu le temps de la revoir : on sait qu’il ne proposait ces questions à la fin de son Optique que comme les doutes d’un grand homme.

Ce qui l’avait induit dans cette opinion était une expérience incertaine rapportée par Boyle. Un chimiste, ami de Boyle, avait distillé longtemps de l’eau pure ; et, après plusieurs observations réitérées, il prétendait qu’un peu de cette eau était devenu terre.

Newton se fonde encore sur cette même expérience, dans le troisième livre de ses Principes, pour prouver que la masse sèche de la terre doit augmenter, et que la masse aqueuse doit diminuer petit à petit ; mais enfin les travaux d’un philosophe[2] de nos jours ont découvert la méprise du chimiste qui avait trompé Boyle, et ensuite Newton.

Il a été prouvé par des expériences réitérées qu’en effet l’eau pure ne se transforme point en terre[3] ; et il n’y a d’ailleurs aucun

  1. Optique, page 551, seconde édition. (Note de Voltaire.)
  2. M. Boerhaave. (Id.)
  3. L’eau est une substance qui reste dans l’état de liquidité à un degré de chaleur connu ; il faudrait, pour qu’elle se changeât en terre, que, sans perdre aucun de ses principes, ou sans se combiner avec un principe étranger, elle perdit cette propriété, soit par l’action du feu, soit par l’effet de la végétation. Si on met de l’eau distillée dans un vase de verre fermé hermétiquement, et qu’on l’expose à une chaleur modérée pendant un long temps, l’eau se trouble, diminue de volume, et on voit une terre fine et légère qui, après être restée