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ET SUR SA PROPAGATION.

produire que leurs composés, ou laisser échapper de leurs substances les corps dont eux-mêmes étaient composés. Or le feu, par toutes les expériences que l’on a faites, n’est composé d’aucun corps connu : donc on ne doit point le croire produit d’eux ; donc il faut, ou que le feu sortant d’une matière quelconque soit un élément simple enfermé auparavant dans cette matière, ou que cet élément soit formé tout d’un coup par cette matière dans laquelle il n’était point ; mais être produit par un être dans lequel il n’était point, ce serait être créé par cet être, ce serait être formé de rien : donc le feu est un élément existant indépendamment de tous les autres corps.

2° Si l’arrangement et le mouvement des corps pouvaient produire une substance aussi pure, aussi simple que le feu semble être, il faudrait qu’ils pussent produire à plus forte raison des corps mixtes ; mais le mouvement et l’arrangement ne feront jamais croître un brin d’herbe, si ce brin d’herbe n’existe déjà dans son germe : donc le feu existe en effet avant que les autres corps sur la terre servent à le faire paraître.

3° Si le mouvement seul pouvait produire du feu, comment est-ce que le vent du midi nous apporterait toujours de la chaleur en temps serein, et le vent du nord toujours du froid en temps serein ? Un vent du nord violent devrait échauffer l’air, l’eau et la terre, plus qu’un vent du midi médiocre : il faut donc que l’air venu du nord apporte la glace dont il est chargé, et que l’air du midi, qui nous vient de la zone torride, nous apporte le feu dont le soleil l’a rempli[1].

4° Si le mouvement des parties des corps faisait le feu, et par conséquent la chaleur, comment pourrait-on concevoir ces fermentations excitées dans la machine pneumatique, qui ne font ni hausser ni baisser le thermomètre ? Comment concevoir ces autres fermentations qui n’excitent aucune chaleur ni dans le vide ni dans l’air libre ? Comment enfin concevoir les fermentations froides, qui font tant baisser les thermomètres ? Le mouvement peut donner du froid comme du chaud : la chaleur n’est donc pas produite par un mouvement intestin et circulaire des parties, comme plusieurs auteurs l’ont supposé ; il faut donc qu’il y ait une substance particulière qui seule puisse donner la chaleur.

  1. Cependant, quoi qu’en pense Voltaire, le feu est le résultat du mouvement. Voltaire serait bien étonné si, revenant aujourd’hui, il entendait exposer la théorie mécanique de la chaleur. (D.)