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CONSEILS À UN JOURNALISTE.

la plus vile canaille, et faite sans doute par un de ces mauvais Français qui vont dans les pays étrangers déshonorer les belles-lettres et leur patrie, faites sentir l’horreur et le ridicule de cet assemblage monstrueux.

Faites-vous toujours un mérite de venger les bons écrivains des zoïles obscurs qui les attaquent ; démêlez les artifices de l’envie ; publiez, par exemple, que les ennemis de notre illustre Racine firent réimprimer quelques vieilles pièces oubliées, dans lesquelles ils insérèrent plus de cent vers de ce poète admirable[1], pour faire accroire qu’il les avait volés. J’en ai vu une intitulée Saint Jean-Baptiste, dans laquelle on retrouvait une scène presque entière de Bérénice. Ces malheureux, aveuglés par leur passion, ne sentaient pas même la différence des styles, et croyaient qu’on s’y méprendrait : tant la fureur de la jalousie est souvent absurde !

En défendant les bons auteurs contre l’ignorance et l’envie qui leur imputent de mauvais ouvrages, ne permettez pas non plus qu’on attribue à de grands hommes des livres peut-être bons en eux-mêmes, mais qu’on veut accréditer par des noms illustres auxquels ils n’appartiennent point[2]. L’abbé de Saint-Pierre renouvelle un projet hardi, et sujet à d’extrêmes difficultés ; il le met sous le nom d’un dauphin de France. Faites voir modestement qu’on ne doit pas, sans de très-fortes preuves, attribuer un tel ouvrage à un prince né pour régner.

Ce Projet de la prétendue paix universelle, attribué à Henri IV par les secrétaires de Maximilien de Sully, qui rédigèrent ses Mémoires, ne se trouve en aucun autre endroit. Les Mémoires de Villeroi n’en disent mot ; on n’en voit aucune trace dans aucun livre du temps. Joignez à ce silence la considération de l’état où l’Europe était alors, et voyez si un prince aussi sage que Henri le Grand a pu concevoir un projet d’une exécution impossible.

Si on réimprime, comme on me le mande, le livre fameux connu sous le nom de Testament politique du cardinal de Richelieu, montrez combien on doit douter que ce ministre en soit l’auteur.

    la première fois dans l’édition de 1732 du Chef-d’œuvre d’un inconnu. Par une lettre insérée dans la Bibliothèque française, tome XL, pages 329-339, et adressée à Voltaire, Saint-Hyacinthe déclare être l’auteur du Chef-d’œuvre d’un inconnu, et réclame contre l’épithète d’infâme, que Voltaire donne à la Déification. Voyez Voltaire à Cirey, de M. Gust. Desnoiresterres, pages 212 et 213.

  1. La fin de cette phrase n’est pas dans le Mercure.
  2. On lit dans le Mercure : « N’appartiennent point. Le Projet de la prétendue, etc. »