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UTILE EXAMEN SUR LE SIEUR ROUSSEAU.

Lorsque Despréaux, dans son Art poétique[1], parle des auteurs du théâtre, quelle simplicité et quelle élégance !

Vous donc qui d’un beau feu pour le théâtre épris,
Venez en vers pompeux y disputer le prix,
Voulez-vous sur la scène étaler des ouvrages
Où tout Paris en foule apporte ses suffrages,
Et qui, toujours plus beaux plus ils sont regardés,
Soient au bout de vingt ans encor redemandés ? etc.

Rousseau, qui veut l’imiter, dit dans une de ses nouvelles Épîtres :

De ces beautés nous déterrer la source,
Et démêler les détours sinueux
De ce dédale oblique et tortueux,
Ouvert jadis par la sœur de Thalie, etc.[2].

Ces trois épithètes oblique, sinueux, et tortueux, données au dédale de la tragédie, sont aussi forcées qu’inutiles ; et la sœur de Thalie, au lieu de Melpomène, est une affectation que la rime justifierait si la rime était une excuse. Despréaux dit, avec son harmonie charmante :

Que devant Troie en flamme Hécube désolée
Ne vienne point pousser une plainte ampoulée…[3]
Il faut dans la douleur que vous vous abaissiez ;
Pour me tirer des pleurs il faut que vous pleuriez…[4]
Tous ces pompeux amas d’expressions frivoles
Sont d’un déclamateur amoureux des paroles[5].

Voici comme s’exprime le copiste :

Cet empathique et burlesque étalage
D’un faux sublime enté sur l’assemblage
De ces grands mots, clinquant de l’oraison,
Enflés de vent, et vides de raison,
Dont le concours discordant et barbare
N’est qu’un vain bruit, une sotte fanfare[6].

Il n’y a rien de plus rude que ces vers, ni de plus louche que ces expressions. Un clinquant enflé de vent, enté sur un assemblage,

  1. Chant III, vers 9-14.
  2. Épître au P. Brunoy, 10-13.
  3. Art poétique, 135-36.
  4. Art poétique, 141-42.
  5. Id., 139-140.
  6. Épître au P. Brunoy, vers 33.