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UTILE EXAMEN SUR LE SIEUR ROUSSEAU.

Les nouvelles épîtres de Rousseau qu’on débite depuis peu ne paraissent rien contenir qui mérite l’attention du public : ce n’est pas la peine de faire mille vers pour dire qu’il y a de mauvaises pièces de théâtre, et des ouvrages que l’on voudrait rabaisser ; c’est seulement dire en mille vers : Je suis mécontent et jaloux. Or en cela il n’y a rien de neuf ni d’important : c’est une vérité très-reconnue et très-peu intéressante qu’un auteur est jaloux d’un autre auteur.

On a toujours reproché à Rousseau d’avoir peu de génie inventif, et de ne mettre en vers que les pensées des autres. Ce reproche semble assez bien fondé, car si vous examinez la neuvième satire de Despréaux, adressée à son esprit, dans laquelle il dépeint si naïvement les inconvénients de la poésie satirique, vous verrez que les épîtres aux Muses et à Marot, composées par Rousseau, n’en sont que des copies. Lisez la satire de Despréaux à Valincour, vous y verrez comment le faux honneur est venu sur la terre prendre les traits et le nom de l’honneur véritable : cette idée est répétée dans la plupart de ces pièces que Rousseau appelle ses Allégories.

Un auteur fait excuser en lui ce peu de fécondité quand il ajoute au moins quelque chose à ce qu’il emprunte ; mais quand Rousseau mêle de son fonds à ces idées, il y mêle des erreurs.

Y a-t-il, par exemple, rien de plus faux que de dire :

Et cherchez bien de Paris jusqu’à Rome,
Onc ne verrez sot qui soit honnête homme
[1] ?

Je ne relève point cette façon de parler, de Paris jusqu’à Rome ; je ne relève que l’erreur grossière et dangereuse qui règne dans ces vers et dans tout le reste de l’ouvrage. Qui ne sait, par une triste expérience, que beaucoup de gens d’esprit ont été de très-méchants hommes, et qu’un honnête homme est souvent un esprit fort borné ?

L’erreur en prose est un monstre, et en vers un monstre ridicule. Les ornements recherchés de la rime ne rendent pas vrai ce qui est faux, mais le rendent impertinent.

Ce n’est pas assez que le vrai soit la base des ouvrages, il faut que la matière soit importante, il faut dire des choses intéressantes et neuves. Quel misérable emploi de passer sa vie à dire du mal de trois ou quatre auteurs, à parler de tragédies, de

  1. Épître à Marot, 29-30.