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CHAPITRE VII.

embrouillée. Les difficultés dont les philosophes ont hérissé cette matière, et la témérité qu’on a toujours eue de vouloir arracher de Dieu son secret, et de concilier sa prescience avec le libre arbitre, sont cause que l’idée de la liberté s’est obscurcie à force de prétendre l’éclaircir. On s’est si bien accoutumé à ne plus prononcer ce mot liberté, sans se ressouvenir de toutes les difficultés qui marchent à sa suite, qu’on ne s’entend presque plus à présent quand on demande si l’homme est libre.

Ce n’est plus ici le lieu de feindre un être doué de raison, lequel n’est point homme, et qui examine avec indifférence ce que c’est que l’homme ; c’est ici au contraire qu’il faut que chaque homme rentre dans soi-même, et qu’il se rende témoignage de son propre sentiment.

Dépouillons d’abord la question de toutes les chimères dont on a coutume de l’embarrasser, et définissons ce que nous entendons par ce mot liberté. La liberté est uniquement le pouvoir d’agir. Si une pierre se mouvait par son choix, elle serait libre ; les animaux et les hommes ont ce pouvoir : donc ils sont libres. Je puis à toute force contester cette faculté aux animaux ; je puis me figurer, si je veux abuser de ma raison, que les bêtes qui me ressemblent en tout le reste diffèrent de moi en ce seul point. Je puis les concevoir comme des machines qui n’ont ni sensations, ni désirs, ni volonté, quoiqu’elles en aient toutes les apparences. Je forgerai des systèmes, c’est-à-dire des erreurs, pour expliquer leur nature ; mais enfin, quand il s’agira de m’interroger moi-même, il faudra bien que j’avoue que j’ai une volonté, et que j’ai en moi le pouvoir d’agir, de remuer mon corps, d’appliquer ma pensée à telle ou telle considération, etc.

Si quelqu’un vient me dire : Vous croyez avoir cette volonté, mais vous ne l’avez pas : vous avez un sentiment qui vous trompe, comme vous croyez voir le soleil large de deux pieds, quoiqu’il soit en grosseur, par rapport à la terre, à peu près comme un million à l’unité ; je répondrai à ce quelqu’un : Le cas est différent. Dieu ne m’a point trompé en me faisant voir ce qui est éloigné de moi d’une grosseur proportionnée à sa distance : telles sont les lois mathématiques de l’optique que je ne puis et ne dois apercevoir les objets qu’en raison directe de leur grosseur et de leur éloignement ; et telle est la nature de mes organes que si ma vue pouvait apercevoir la grandeur réelle d’une étoile je ne pourrais voir aucun objet sur la terre. Il en est de même du sens de l’ouïe et de celui de l’odorat. Je n’ai les sensations plus ou moins fortes, toutes choses égales, que selon que les corps sonores et odo-