Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/216

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
198
CHAPITRE II.

servent qu’à montrer que cette lumière existe : car de cela même qu’un être infini nous est démontré, il nous est démontré aussi qu’il doit être impossible à un être fini de le comprendre.

Il me semble qu’on ne peut faire que des sophismes et dire djes absurdités quand on veut s’efforcer de nier la nécessité d’un être existant par lui-même, ou lorsqu’on veut soutenir que la matière est cet être. Mais, lorsqu’il s’agit d’établir et de discuter les attributs de cet être, dont l’existence est démontrée, c’est tout autre chose.

Les maîtres dans l’art de raisonner, les Locke, les Clarke, nous disent : « Cet être est un être intelligent, car celui qui a tout produit doit avoir toutes les perfections qu’il a mises dans ce qu’il a produit, sans quoi l’effet serait plus parfait que la cause » ; ou bien d’une autre manière : « Il y aurait dans l’effet une perfection qui n’aurait été produite par rien, ce qui est visiblement absurde. Donc, puisqu’il y a des êtres intelligents, et que la matière n’a pu se donner la faculté de penser, il faut que l’être existant par lui-même, que Dieu soit un être intelligent, » Mais ne pourrait-on pas rétorquer cet argument et dire : « Il faut que Dieu soit matière », puisqu’il y a des êtres matériels ; car, sans cela, la matière n’aura été produite par rien, et une cause aura produit un effet dont le principe n’était pas en elle ? On a cru éluder cet argument en glissant le mot ùa perfection : M. Clarke semble l’avoir prévenu, mais il n’a pas osé le mettre dans tout son jour ; il se fait seulement cette objection : « On dira que Dieu a bien communiqué la divisibilité et la figure à la matière, quoiqu’il ne soit ni figuré ni divisible. » Et il fait à cette objection une réponse très-solide et très-aisée, c’est que la divisibilité, la figure, sont des qualités négatives et des limitations ; et que, quoiqu’une cause ne puisse communiquer à son effet aucune perfection qu’elle n’a pas, l’effet peut cependant avoir, et doit nécessairement avoir des limitations, des imperfections que la cause n’a pas. Mais qu’eût répondu M. Clarke à celui qui lui aurait dit : « La matière n’est point un être négatif, une limitation, une imperfection ; c’est un être réel, positif, qui a ses attributs tout comme l’esprit ; or, comment Dieu aura-t-il pu produire un être matériel s’il n’est pas matériel ? » Il faut donc, ou que vous avouiez que la cause peut communiquer quelque chose de positif qu’elle n’a pas, ou que la matière n’a point de cause de son existence ; ou enfin que vous souteniez que la matière est une pure négation et une limitation ; ou bien, si ces trois parties sont absurdes, il faut que vous avouiez que l’exis-