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LETTRE À M. D***.

sachiez, continua-t-il, que l’Académie donne tous les deux ans un prix de poésie, et par là immortalise un homme tous les deux ans ; vous voyez entre mes mains l’ouvrage qui a remporté le prix cette année. Oh ! que l’auteur de ce poëme est heureux ! Il y a quarante ans qu’il compose sans être connu du public ; à présent le voilà, pour un petit poëme, associé à toute la réputation de l’Académie. — Mais, lui dis-je, n’arrive-t-il jamais qu’un auteur déclaré immortel par les Quarante soit mis au rang des Cotins par le public, qui est juge en dernier ressort ? — Cela ne se peut, me répondit mon poëte ; car l’Académie n’a été instituée que pour fixer le goût de la France, et on n’appelle jamais de ses décisions. — J’ai de bonnes preuves, dit alors un de mes amis, qu’une assemblée de quarante personnes n’est pas infaillible. Du reste, le Cid et le Dictionnaire de Furetière se sont soutenus contre l’Académie ; et il pourrait bien se faire qu’elle approuvât de fort mauvais ouvrages, comme elle en a critiqué de fort bons. »

Pour réponse à toutes ces railleries, mon homme lut à haute voix : Poëme chrétien qui a remporté le prix, par M. l’abbé du Jarry. « Il faut, avant de commencer, lui dis-je, que nous sachions ce que c’est que M. l’abbé du Jarry, le sujet de son poëme, et en quoi le prix consiste. » Il satisfit ainsi à mes questions :

« Autrefois M. l’abbé du Jarry a fait imprimer plusieurs oraisons funèbres et quelques sermons ; à présent il fait mettre sous la presse un volume de ses poésies, et il est à croire qu’il est aussi bon poëte que grand orateur. Le sujet de son poëme est la louange du roi, à l’occasion du nouveau chœur de Notre-Dame, construit par Louis XIV et promis par Louis XIII. Le prix est un beau groupe de bronze, où l’on voit un assemblage merveilleux du fabuleux et du sacré, car la Renommée y paraît auprès de la Religion, et la Piété y est appuyée sur un génie. Au reste les rivaux de M. l’abbé du Jarry étaient des jeunes gens de dix-neuf à vingt ans[1] ; monsieur l’abbé en a soixante et cinq. Il est bien juste qu’on fasse honneur à son âge. » Après ce grand préambule, il toussa, et nous lut d’un ton plein d’emphase le merveilleux poëme que je vous envoie[2].

On a pris la liberté de critiquer l’ouvrage que l’Académie a couronné ; je vous envoie les remarques que nous avons faites avec simplicité ; elles vous ennuieront peut-être moins que le poëme.

  1. Tels que le jeune Arouet. Voyez, tome VIII, l’Ode sur le Vœu de Louis XIII, qu’il avait envoyée au concours.
  2. Ici était transcrit en entier le poëme de l’abbé du Jarry, que j’ai cru inutile de reproduire. (B.)