Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
161
SUR LA COMÉDIE.

honnêtes gens avec des actions de fripon : ce qui prouve qu’il connaissait bien son monde, et qu’il vivait dans ce qu’on appelle la bonne compagnie[1].

Ses pièces sont les plus spirituelles et les plus exactes ; celles de Van Brugh, les plus gaies ; et celles de Wicherley, les plus fortes.

Il est à remarquer qu’aucun de ces beaux esprits n’a mal parlé de Molière. Il n’y a que les mauvais auteurs anglais qui aient dit du mal de ce grand homme[2].

Au reste, ne me demandez pas que j’entre ici dans le moindre détail de ces pièces anglaises dont je suis si grand partisan, ni que je vous rapporte un bon mot ou une plaisanterie des Wicherley et des Congrève ; on ne rit point dans une traduction. Si vous voulez connaître la comédie anglaise, il n’y a d’autre moyen pour cela que d’aller à Londres, d’y rester trois ans, d’apprendre bien l’anglais, et de voir la comédie tous les jours. Je n’ai pas grand plaisir en lisant Plaute et Aristophane : pourquoi ? c’est que je ne suis ni Grec ni Romain. La finesse des bons mots, l’allusion, l’à-propos, tout cela est perdu pour un étranger.

Il n’en est pas de même dans la tragédie. Il n’est question chez elle que de grandes passions et de sottises héroïques consacrées par de vieilles erreurs de fable ou d’histoire. Œdipe, Électre, appartiennent aux Espagnols, aux Anglais, et à nous, comme aux Grecs. Mais la bonne comédie est la peinture parlante des ridicules d’une nation ; et, si vous ne connaissez pas la nation à fond, vous ne pouvez guère juger de la peinture[3].

  1. 1734. « Bonne compagnie. Il était infirme et presque mourant quand je l’ai connu ; il avait un défaut, c’était de ne pas assez estimer son premier métier d’auteur, qui avait fait sa réputation et sa fortune. Il me parlait de ses ouvrages comme de bagatelles au-dessous de lui, et me dit, à la première conversation, de ne le voir que sur le pied d’un gentilhomme qui vivait très-uniment. Je lui répondis que s’il avait eu le malheur de n’être qu’un gentilhomme comme un autre, je ne le serais jamais venu voir, et je fus choqué de cette vanité si mal placée. Ses pièces, etc. »
    La suppression est de 1739.
  2. 1734. « …… De ce grand homme. Ce sont les mauvais musiciens d’Italie qui méprisent Lulli ; mais un Bononcini l’estime et lui rend justice, de même que Mead fait cas d’un Hclvétius et d’un Silva.
    « L’Angleterre a encore de bons poètes comiques, tels que le chevalier Steele et M. Cibber, excellent comédien, et d’ailleurs poëte du roi ; titre qui parait ridicule, mais qui ne laisse pas de donner mille écus de rente, et de beaux privilèges. Notre grand Corneille n’en a pas eu autant.
    « Au reste, etc. »
  3. 1734. « Vous ne pouvez juger de la peinture. »
    C’était la fin de la lettre en 1734, et même en 1751. Ce qui suit a été ajouté en 1752.