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SUR LA COMÉDIE.

séance. L’auteur anglais a corrigé le seul défaut qui soit dans la pièce de Molière : ce défaut est le manque d’intrigue et d’intérêt. La pièce anglaise est intéressante, et l’intrigue en est ingénieuse, mais trop hardie pour nos mœurs.

C’est un capitaine de vaisseau plein de valeur, de franchise, et de mépris pour le genre humain. Il a un ami sage et sincère dont il se défie, et une maîtresse dont il est tendrement aimé, sur laquelle il ne daigne pas jeter les yeux ; au contraire il a mis toute sa confiance dans un faux ami qui est le plus indigne homme qui respire, et il a donné son cœur à la plus coquette et à la plus perfide de toutes les femmes. Il est bien assuré que cette femme est une Pénélope, et ce faux ami un Caton. Il part pour s’aller battre contre les Hollandais, et laisse tout son argent, ses pierreries, et tout ce qu’il a au monde, à cette femme de bien, et recommande cette femme elle-même à cet ami fidèle, sur lequel il compte si fort. Cependant le véritable honnête homme dont il se défie tant s’embarque avec lui ; et la maîtresse qu’il n’a pas seulement daigné regarder se déguise en page, et fait le voyage sans que le capitaine s’aperçoive de son sexe de toute la campagne.

Le capitaine, ayant fait sauter son vaisseau dans un combat, revient à Londres, sans secours, sans vaisseau, et sans argent, avec son page et son ami, ne connaissant ni l’amitié de l’un, ni l’amour de l’autre. Il va droit chez la perle des femmes, qu’il compte retrouver avec sa cassette et sa fidélité : il la retrouve mariée avec l’honnête fripon à qui il s’était confié, et on ne lui a pas plus gardé son dépôt que le reste. Mon homme a toutes les peines du monde à croire qu’une femme de bien puisse faire de pareils tours ; mais, pour l’en convaincre mieux, cette honnête dame devient amoureuse du petit page, et veut le prendre à force. Mais comme il faut que justice se fasse, et que dans une pièce de théâtre le vice soit puni et la vertu récompensée, il se trouve à la fin du compte[1] que le capitaine se met à la place du page, couche avec son infidèle, fait cocu son traître ami, lui donne un bon coup d’épée au travers du corps, reprend sa cassette, et épouse son page. Vous remarquerez qu’on a encore lardé cette pièce d’une comtesse de Pimbesche, vieille plaideuse, parente du capitaine, laquelle est bien la plus plaisante créature et le meilleur caractère qui soit au théâtre.

Wicherley a encore tiré de Molière une pièce non moins singulière et non moins hardie : c’est une espèce d’École des Femmes.

  1. 1734. « Il se trouve à la fin de compte. »