Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/169

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
151
SUR LA TRAGÉDIE.

On s’endort, et tout meurt. Mais un affreux réveil
Doit succéder peut-être aux douceurs du sommeil.
On nous menace, on dit que cette courte vie
De tourments éternels est aussitôt suivie.
Ô mort ! moment fatal ! affreuse éternité !
Tout cœur à ton seul nom se glace épouvanté.
Eh ! qui pourrait sans toi supporter cette vie,
De nos fourbes puissants[1] bénir l’hypocrisie,
D’une indigne maîtresse encenser les erreurs.
Ramper sous un ministre, adorer ses hauteurs,
Et montrer les langueurs de son âme abattue
À des amis ingrats qui détournent la vue ?
La mort serait trop douce en ces extrémités ;
Mais le scrupule parle, et nous crie : Arrêtez.
Il défend à nos mains cet heureux homicide,
Et d’un héros guerrier fait un chrétien timide, etc.[2].

Après ce morceau de poésie, les lecteurs sont priés de jeter les yeux sur la traduction littérale :

Être ou n’être pas, c’est là la question :
S’il est plus noble dans l’esprit de souffrir
Les piqûres et les flèches de l’affreuse fortune.
Ou de prendre les armes contre une mer de trouble,
Et, en s’opposant à eux, les finir ? Mourir, dormir,
Rien de plus, et par ce sommeil dire : Nous terminons
Les peines du cœur, et dix mille chocs naturels
Dont la chair est héritière ; c’est une consommation
Ardemment désirable. Mourir, dormir :
Dormir, peut-être rêver ? ah ! voilà le mal !
Car, dans ce sommeil de la mort, quels rêves aura-t-on,
Quand on a dépouillé cette enveloppe mortelle ?
C’est là ce qui fait penser ; c’est là la raison
Qui donne à la calamité une vie si longue :
Car qui voudrait supporter les coups et les injures du temps,
Les torts de l’oppresseur, les dédains de l’orgueilleux,
Les angoisses d’un amour méprisé, les délais de la justice,
L’insolence des grandes places, et les rebuts
Que le mérite patient essuie de l’homme indigne,
Quand il peut faire son quietus[3]

  1. 1734. « De nos prêtres menteurs. »
  2. Dans l’édition de 1734, immédiatement après ces vers, on lisait : Ne croyez pas, etc.
  3. Ce mot latin, qui signifie tranquille, est dans l’original : on s’en servait et l’on s’en sert encore pour exprimer quitte à quitte. (Note de Voltaire.)