Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
146
LETTRE XVII.

Guillaume le Conquérant jusqu’à George Ier ; ils ont régné six cent quarante-huit ans, ce qui, réparti sur les trente rois, donne à chacun vingt et un ans et demi de règne. Soixante-trois rois de France ont régné, l’un portant l’autre, chacun à peu près vingt ans. Voilà le cours ordinaire de la nature. Donc les anciens se sont trompés quand ils ont égalé en général la durée des règnes à la durée des générations ; donc ils ont trop compté ; donc il est à propos de retrancher un peu de leur calcul.

Les observations astronomiques semblent prêter encore un plus grand secours à notre philosophe : il paraît plus fort en combattant sur son terrain.

Vous savez[1] que la terre, outre son mouvement annuel, qui l’emporte autour du soleil d’occident en orient dans l’espace d’une année, a encore une révolution singulière[2], plutôt soupçonnée que connue jusqu’à ces derniers temps. Ses pôles ont un mouvement très lent de rétrogradation d’orient en occident, qui fait que chaque jour leur position ne répond pas précisément aux mêmes points du ciel. Cette différence, insensible en une année, devient assez forte avec le temps, et au bout de soixante et douze ans on trouve que la différence est d’un degré, c’est-à-dire de la trois cent soixantième partie de tout le ciel. Ainsi, après soixante et douze années, le colure de l’équinoxe du printemps, qui passant par une fixe, répond à une autre fixe[3] éloignée de la première d’un degré. De là vient que le soleil, au lieu d’être dans la partie du ciel où était le bélier du temps d’Hipparque, se trouve répondre à cette partie du ciel[4] où sont les poissons, et que les gémeaux sont à la place où le taureau était alors. Tous les signes ont changé de place ; cependant nous retenons toujours la manière de parler des anciens : nous disons que le soleil est dans le bélier au printemps, par la même condescendance que nous disons que le soleil tourne.

Hipparque fut le premier chez les Grecs qui s’aperçut de quelques changements dans les constellations par rapport aux équinoxes, ou plutôt qui l’apprit des Égyptiens. Les philosophes attribuèrent ce mouvement aux étoiles, car alors on était bien loin d’imaginer une telle révolution dans la terre : on la croyait en tous sens immobile. Ils créèrent donc un ciel où ils attachèrent toutes les étoiles, et donnèrent à ce ciel un mouvement parti-

  1. 1734. « Vous savez, monsieur, que la terre. »
  2. 1734. « Singulière tout à fait inconnue jusqu’à ces derniers temps. »
  3. 1734. « À une autre fixe. De là vient. »
  4. 1734. « Partie du ciel où était le taureau, et les gémeaux. »