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genre humain, mais qui se sent toujours de cet esprit créateur que Newton portait dans toutes ses recherches ; c’est une chronologie toute nouvelle, car, dans tout ce qu’il entreprenait, il fallait qu’il changeât les idées reçues par les autres hommes. Accoutumé à débrouiller des chaos, il a voulu porter au moins quelque lumière dans celui de ces fables anciennes confondues avec l’histoire, et fixer une chronologie incertaine. Il est vrai qu’il n’y a point de famille, de ville, de nation qui ne cherche à reculer son origine ; de plus, les premiers historiens sont les plus négligents à marquer les dates ; les livres étaient moins communs mille fois qu’aujourd’hui ; par conséquent, étant moins exposé à la critique, on trompait le monde plus impunément ; et, puisqu’on a évidemment supposé des faits, il est assez probable qu’on a aussi supposé des dates. En général, il parut à Newton que le monde était de cinq cents ans plus jeune que les chronologistes ne le disent ; il fonde son idée sur le cours ordinaire de la nature et sur les observations astronomiques.

On entend ici par le cours de la nature le temps de chaque génération des hommes. Les Égyptiens s’étaient servis les premiers de cette manière incertaine de compter. Quand ils voulurent écrire les commencements de leur histoire, ils comptaient trois cent quarante et une générations depuis Ménès jusqu’à Séthon ; et, n’ayant pas de dates fixes, ils évaluèrent trois générations à cent ans. Ainsi, ils comptèrent[1] du règne de Ménès au règne de Séthon onze mille trois cent quarante années. Les Grecs, avant de compter par olympiades, suivirent la méthode des Égyptiens, et étendirent même un peu la durée des générations, poussant chaque génération jusqu’à quarante années. Or, en cela, les Égyptiens et les Grecs se trompèrent dans leur calcul. Il est bien vrai que, selon le cours ordinaire de la nature, trois générations font environ cent à six-vingts ans ; mais il s’en faut bien que trois règnes tiennent ce nombre d’années. Il est très évident qu’en général les hommes vivent plus longtemps que les rois ne règnent. Ainsi, un homme qui voudra écrire l’histoire sans avoir de dates précises, et qui saura qu’il y a eu neuf rois chez une nation, aura grand tort s’il compte trois cents ans pour ces neuf rois. Chaque génération est d’environ trente-six ans ; chaque règne est environ de vingt, l’un portant l’autre. Prenez les trente rois d’Angleterre, depuis

    Descartes, dans le Dictionnaire philosophique. Tout ce qui précède n'avait pas été admis dans les éditions de Kehl, et n'existe même plus dans l'édition de 1739.

  1. 1734. « Comptaient. »