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par l’explication mathématique de ce phénomène si naturel ; il calcula les réflexions de la lumière dans les gouttes de pluie, et cette sagacité eut alors quelque chose de divin.

Mais qu’aurait-il dit si on lui avait fait connaître qu’il se trompait sur la nature de la lumière ; qu’il n’avait aucune raison d’assurer que c’était un corps globuleux ; qu’il est faux que cette matière, s’étendant par tout l’univers, n’attende, pour être mise en action, que d’être poussée par le soleil, ainsi qu’un long bâton qui agit à un bout quand il est pressé par l’autre ; qu’il est très vrai qu’elle est dardée par le soleil, et qu’enfin la lumière est transmise du soleil à la terre en près de sept minutes, quoique un boulet de canon, conservant toujours sa vitesse, ne puisse faire ce chemin qu’en vingt-cinq années ?

Quel eût été son étonnement si on lui avait dit : « Il est faux que la lumière se réfléchisse directement en rebondissant sur les parties solides du corps ; il est faux que les corps soient transparents quand ils ont des pores larges ; et il viendra un homme qui démontrera ces paradoxes, et qui anatomisera un seul rayon de lumière avec plus de dextérité que le plus habile artiste ne dissèque le corps humain[1] !

  1. Dans les éditions de 1734 à 1738, on lisait ici :
    « Cet homme est venu. Newton, avec le seul secours du prisme, a démontré aux yeux que la lumière est un amas de rayons colorés qui, tous ensemble, donnent la couleur blanche. Un seul rayon est divisé par lui en sept rayons, qui viennent tous se placer sur un linge ou sur un papier blanc dans leur ordre, l’un au-dessus de l’autre et à d’inégales distances. Le premier est couleur de feu ; le second, citron ; le troisième, jaune ; le quatrième, vert ; le cinquième, bleu ; le sixième, indigo ; le septième, violet. Chacun de ces rayons, tamisé ensuite par cent autres prismes, ne changera jamais la couleur qu’il porte, de même qu’un or épuré ne change plus dans les creusets. Et, pour surabondance de preuve que chacun de ces rayons élémentaires porte en soi ce qui fait sa couleur à nos yeux, prenez un petit morceau de bois jaune, par exemple, et exposez-le au rayon couleur de feu : ce bois se teint à l’instant en couleur de feu ; au rayon vert il prend la couleur verte ; et ainsi du reste.
    « Quelle est donc la cause des couleurs dans la nature ? Rien autre chose que la disposition des corps à réfléchir les rayons d’un certain ordre et à absorber tous les autres. Quelle est cette secrète disposition ? Il démontre que c’est uniquement l’épaisseur des petites parties constituantes dont un corps est composé. Et comment se fait cette réflexion ? On pensait que c’était parce que les rayons rebondissaient, comme une balle, sur la surface d’un corps solide. Point du tout ; Newton enseigne aux philosophes étonnés que les corps ne sont opaques que parce que leurs pores sont larges, que la lumière se réfléchit à nos yeux du sein de ces pores mêmes, que, plus les pores d’un corps sont petits, plus le corps est transparent : ainsi le papier, qui réfléchit la lumière quand il est sec, la transmet quand il est huilé, parce que l’huile, ses pores, les rend beaucoup plus petits.
    « C’est là qu’examinant l’extrême porosité des corps, chaque partie ayant ses