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HISTOIRE DE L'ATTRACTION.

souvent répétée, consistant en ce mot : error ; mais que, las d’écrire error partout, il jeta le livre et ne le relut jamais.

Newton, ayant quitté les abîmes de la théologie dans lesquels il avait été élevé pour les vérités mathématiques, avait déjà trouvé à l’âge de vingt-trois ans son calcul infinitésimal dont son maître Wallis lui avait ouvert la route. Il s’appliquait à chercher ce principe secret et universel de la nature, indiqué par Copernic, par Kepler, par Bacon, et déjà saisi par le célèbre Hooke : c’est-à-dire cette cause de la pesanteur et du mouvement de toute la matière. S’étant retiré en 1666, à cause de la peste, à la campagne près de Cambridge, un jour qu’il se promenait dans son jardin, et qu’il voyait des fruits tomber d’un arbre, il se laissa aller à une méditation profonde sur cette pesanteur dont tous les philosophes ont cherché si longtemps la cause en vain, et dans laquelle le vulgaire ne soupçonne pas même de mystère. Il se dit à lui-même : De quelque hauteur dans notre hémisphère que tombassent ces corps, leur chute, serait certainement dans la progression découverte par Galilée ; et les espaces parcourus par eux seraient comme les carrés des temps. Ce pouvoir, qui fait descendre les corps graves, est le même sans aucune diminution sensible, à quelque profondeur qu’on soit dans la terre, et sur la plus haute montagne. Pourquoi ce pouvoir ne s’étendrait-il pas jusqu’à la lune ? Et, s’il est vrai qu’il pénètre jusque-là, n’y a-t-il pas grande apparence que ce pouvoir la retient dans son orbite et détermine son mouvement ? Mais si la lune obéit à ce principe, quel qu’il soit, n’est-il pas encore très-raisonnable de croire que les autres planètes y sont également soumises ?

Si ce pouvoir existe, il doit (ce qui est prouvé d’ailleurs) augmenter en raison renversée des carrés des distances. Il n’y a donc plus qu’à examiner le chemin que ferait un corps grave en tombant sur la terre d’une hauteur médiocre, et le chemin que ferait dans le même temps un corps qui tomberait de l’orbite de la lune. Pour en être instruit, il ne s’agit plus que d’avoir la mesure de la terre, et la distance de la lune à la terre.

Voilà comment M. Newton raisonna. Mais on n’avait alors en Angleterre que de très-fausses mesures de notre globe ; on s’en rapportait à l’estime incertaine des pilotes, qui comptaient soixante milles d’Angleterre pour un degré, au lieu qu’il en fallait compter près de soixante et dix. Ce faux calcul ne s’accordant pas avec les conclusions que M. Newton voulait tirer, il les abandonna. Un philosophe médiocre, et qui n’aurait eu que de la vanité, eût fait cadrer comme il eût pu la mesure de la terre